Espagne : une continuité pédagogique qui défie les enseignants, les parents et les élèves

Guadalupe est professeure d’anglais et cheffe d’établissement adjointe dans un établissement de type collège/lycée à Madrid avec des élèves de 12 à 18 ans. Elle raconte comment elle a vécu, dans ses deux fonctions, la fermeture de son établissement.

Comment s’est passée la fermeture de l’établissement ?

Mal, la fermeture a été brutale, on a à peine pu voir les élèves une dernière fois. On a pu faire une réunion des professeurs pour s’organiser, on a décidé d’utiliser la page internet de l’établissement pour mettre le travail en ligne. Les professeurs de chaque classe devaient écrire une lettre aux parents pour expliquer comment ils allaient travailler, évaluer, corriger…C’était compliqué, mais on a fait quelque chose au moins.

Et maintenant ça se passe comment ?

C’est déjà la troisième semaine de fermeture, mais après on a les vacances, la semaine sainte, cela m’étonnerait qu’on rentre à la mi-avril comme prévu. Donc on est en train de s’adresser à nouveau aux parents pour leur dire ce qu’on va faire. Les examens ont été reportés. Les enseignants travaillent beaucoup et utilisent une plate-forme où ils accèdent à des classes virtuelles. J’ai fait ma première classe hier, c’était un peu dur, mais j’avais tous les élèves alors que justement l’accès des élèves pose problème, pour avoir un appareil, de la connexion…

Quelles difficultés vous posent la continuité pédagogique ?

Comme prof et comme chef d’établissement adjoint, ce qui a posé problème c’est la relation avec les parents qui n’avaient pas forcément d’adresse mail. Dans ce cas on est obligé d’utiliser le téléphone, la concierge du lycée prend les appels des parents d’élèves… On a 1000 élèves et 100 à 150 élèves pour lesquels on n’avait pas de mail. Les parents se sont plaints que les élèves avaient trop de travail alors qu’eux-même étaient pris par leur télétravail et les tâches quotidiennes et que… ce n’était pas possible ! Du coup on a envoyé un mel aux professeurs pour dire « relax », on ne peut pas faire la même chose en cours et à la maison, les exercices doivent être plus faciles…

Comment réagissent les enseignants ?

On regarde des sites, on découvre des manières de travailler avec les élèves, on apprend, on utilise Kahoot, on veut aider nos élèves et surtout ne pas perdre l’année. On a une responsabilité. C’est vraiment très compliqué pour nous et l’administration (régionale) ne peut pas forcément nous aider. Ils nous ont payé une application Microsoft pour mettre les cours en ligne mais on n’en avait pas forcément besoin.

Et les élèves ?

Les élèves sont stressés, mais surtout les parents qui doivent passer 24h/24 avec eux, faire de l’anglais, de la physique alors qu’ils ne peuvent pas les aider, mais je suis optimiste, on va s’en sortir. Après cette mauvaise expérience on va renaître, mais je ne sais pas quand… j’espère bientôt !

Allemagne : « Tout s’est préparé en un jour »

Katrin est professeure d’espagnol et de français à Osterburken, dans le Land de Bade-Wurtemberg, dans l’enseignement secondaire, avec des classes de niveau sixième à terminale. Comment a t-elle vécu la fermeture de son lycée et le passage à l’enseignement à distance ?

Comment as-tu appris que les écoles allaient fermer ?

Le ministre-président de Bade Wurtemberg a annoncé le vendredi 13 mars que les écoles fermeraient le mardi 17 mars. Chaque Etat a décidé le jour de fermeture, le nôtre était un des derniers. Lundi, nous étions au lycée pour pouvoir nous organiser. Petite réunion le matin, information des élèves, distribution de polycopiés d’activité en classe…

Comment s’organise le travail à distance pour les profs et pour les élèves ?

La direction du lycée nous a envoyé en début de semaine un formulaire pour élaborer un plan de travail sur la base des heures assurées normalement par les profs, pour qu’on propose des activités pour les élèves. Le professeur de classe (équivalent du professeur principal) envoie ensuite le planning aux élèves avec les pièces jointes données par les collègues. En fin de semaine, les corrections sont envoyées aux parents avec des consignes pour accompagner leurs enfants.

Est-ce que les enseignants changent leur manière de travailler, en passant par le numérique notamment ?

Il y a des établissements modèles (« Vorreiterschulen ») équipés de tablettes, habitués aux cours et aux réunions en visio-conférence, mais ce n’est pas notre cas. Nous échangeons entre profs des idées d’outils numériques, et les établissements sont souvent dôtés d’un référent protection des données (« Datenschutzbeauftragte ») qui travaille sur le choix des outils. Les enseignants utilisent parfois la plate-forme Moodle, dans certains établissements, ou des outils extérieurs (whatsApp, visioconférence…) mais je n’ai pas encore testé la classe « virtuelle ».

Comment vas-tu travailler dans les prochaines semaines ?

Je fais travailler les élèves sur le manuel avec des devoirs à me rendre, pour les terminales ils ont carrément un dossier complet à travailler en autonomie sur la Colombie, en espagnol, pour les habituer à l’enseignement supérieur, avec un test à la fin.

Le travail à distance, selon toi, c’est plutôt positif ou plutôt négatif, pour l’enseignant ?

Le travail à distance peut fonctionner avec les élèves plus âgés qui sont plus autonomes, mais il y a des aspects négatifs : on ne peut pas tout faire en langues vivantes, à distance ! Difficile pour les interactions, pour évaluer la compréhension, difficile pour s’impliquer et pour impliquer les élèves ! L’expérience, si elle est courte, peut toutefois avoir des aspects positifs : on voit bien le rôle essentiel joué par l’enseignant… comme pour tous les métiers « sociaux », quand il n’y a pas d’école !

Pays-Bas : de la difficulté de suivre les élèves à distance

Kim est professeure de français dans l’enseignement secondaire aux Pays-Bas. Elle a accepté de répondre aux questions du SE-Unsa sur la mise en œuvre de la continuité pédagogique dans son pays.

Bonjour Kim, peux-tu nous dire où tu enseignes ?

J’enseigne au collège Pieter Groen à Katwijk, c’est un village au bord de la mer (entre la Haye et Amsterdam).

Depuis quand les écoles sont-elles fermées dans ton pays, et avec quelles conséquences ?

Les écoles aux Pays-Bas sont fermées depuis le 16 mars. Notre ministre vient d’annoncer que les examens finaux (les bacs) n’auront pas lieu cette année.

Comment s’organise concrètement la continuité pédagogique ?

Tous les profs dans notre pays essaient de donner des cours en ligne. C’était dur la semaine dernière, car on n’en a pas l’habitude. On utilise beaucoup Microsoft Teams et Zoom. Pour les élèves les plus fragiles, notre gouvernement a annoncé qu’on va les aider, mais on ne sait pas encore de quelle manière. On a beaucoup de contacts avec des élèves par téléphone, par WhatsApp, par Skype…

Est-ce que la continuité pédagogique pose problème pour certains élèves ?

Oui, tous les élèves n’ont pas le wifi qui fonctionne bien ou ils n’ont pas d’ordinateur ou d’iPad. Pour eux c’est difficile de suivre tous les cours. Et pour moi, c’est difficile parce que je ne peux pas bien aider mes élèves. Je ne suis pas sûre qu’ils font tout le travail, je n’ai pas assez de contrôle sur ce travail.

Comment se met en place le travail collectif des enseignants dans ton établissement ?

La plupart des profs ont dû tout découvrir en quelques jours. À mon école on a commencé les cours à distance mercredi dernier, après que le gouvernement a décidé de fermer les écoles le dimanche. C’était très étrange ! Tout le monde a travaillé beaucoup pour qu’on puisse commencer les cours. Avec mes collègues on parle beaucoup sur WhatsApp, Microsoft Teams et par e-mail. Notre directrice envoie un e-mail à tous les profs chaque jour pour donner des nouvelles.

Turquie : de nombreux outils pour garder le contact avec les élèves

Alper est professeur d’anglais dans l’Ouest de la Turquie, à Manisa, ses élèves ont entre 11 et 14 ans. Il a accepté de répondre aux questions du SE-Unsa sur la mise en œuvre de la continuité pédagogique depuis la fermeture des établissements dans son pays.

Quelle est la situation des écoles en Turquie ?

Les écoles ont fermé le 13 mars, la communication avec les familles passent par WhatsApp et je prépare et fais passer mes cours sur l’ordinateur. J’utilise les applications Zoom et Teamlink (visioconférence).

Que fait le ministère de l’éducation en Turquie face à cette situation ?

Le ministère a mis en place une application moodle qui s’appelle EBA. Elle permet aux élèves de regarder des vidéos de leçons, de faire des exercices et de communiquer avec les professeurs. Les profs peuvent aussi mettre en ligne des vidéos, des exercices et des contrôles sur cette plate-forme. Le ministère a aussi mis en place 3 chaînes de télévision pour les élèves qui permettent aussi de visionner des leçons. Toutes ces mesures permettent sans doute de s’adapter à tous les élèves, notamment ceux qui viennent de milieux moins favorisés.

Comment travaillent les professeurs entre eux ?

Pour l’instant on n’est pas dans une phase de coopération active entre enseignants mais on communique fréquemment par le biais de WhatsApp.