CPE et propriétaire d’une galerie d’art, Lisa nous raconte…

Parlez-nous de ce projet original qui a consisté à ouvrir une galerie d’art dans une commune de Haute-Saône : comment est-il né ? Depuis combien de temps ? Comment le nom de votre galerie a-t-il été trouvé ?

Je suis passionnée par l’art et en particulier par la photographie. J’ai pratiqué cette activité et fait fonctionner des ateliers de pratiques artistiques avec des élèves afin de les amener à réfléchir sur l’art en visitant des expositions et des musées.

J’ai acheté une maison, un ancien relais de poste. Il y avait une ancienne pharmacie que j’ai transformé en galerie ART CADUCÉE en 2014. Le nom vient du caducée qui est inclu dans le carrelage de la devanture. Pour moi, l’art est un remède et l’idée d’utiliser la symbolique d’Hermès vers la concorde me plait.

Quelles sont vos motivations principales pour vous investir dans un tel projet ?

L’art en milieu rural est un challenge : il faut le proposer dans nos villages car les habitants ne se déplacent pas toujours vers les lieux de culture urbains par manque d’habitude ou par réserve. Je tenais à participer à cet accès à la culture pour tous dans le monde rural.

Comment choisissez-vous les œuvres d’art que vous exposez ? Suivez-vous une thématique particulière, des critères définis ou fonctionnez-vous plutôt « au fil des rencontres d’artistes  » ?

Les artistes qui souhaitent exposer proposent leurs créations, expliquent leur travail et leur passion. C’est une rencontre artistique, qui prend ou pas, et ainsi une aventure qui commence, un partenariat, un défi. Nous sommes partenaires avec l’artiste et décidons du projet à mener, pour une période donnée, ensemble. La convention-bail pour le dépôt des œuvres est peu chère pour une période de 6 semaines et l’esprit de la galerie est plus solidaire que lucratif. Ma démarche s’inscrit dans une volonté de démocratisation culturelle.

Votre projet s’inscrit-il dans un dispositif culturel en lien avec d’autres partenaires ou associations ou bien s’agit-il davantage d’une initiative individuelle ?

Mon initiative individuelle est soutenue par la commune, l’office de tourisme et la presse locale. Je m’associe à d’autres espaces culturels locaux ou extérieurs. Internet est également un moyen très performant pour développer mon activité.

Comment articulez-vous votre passion et votre vie de CPE ? Est-ce 2 domaines bien distincts ou faites-vous des ponts entre les deux ? lesquels ?

Je m’occupe de ma galerie sur mes temps libres et suis CPE dans ma vie professionnelle, les deux sont indissociables car ils sont en moi. « L’art-chéologie », mon jeu de mots, signifie que c’est ma formation et la photographie qui m’ont amenée à appréhender l’homme à travers ses témoignages. Parallèlement, mon métier de CPE me fait entrevoir dans la jeunesse une promesse d’avenir et la possibilité de partager mon regard sur l’environnement.

Éveiller, avec l’Art, la curiosité pour susciter l’intérêt est mon cheminement éducatif et culturel. Notre métier y participe, notamment dans les projets d’établissements et l’animation socio-culturelle.

Qu’est-ce que l’art vous apporte et peut apporter dans un métier relationnel comme le vôtre ? Diriez-vous que l’approche artistique vous a ouvert à d’autres dimensions dans la relation à vos élèves ? aux autres adultes de l’établissement ?

L’art apporte un dépaysement, un autre regard, une capacité d’analyse et de tolérance. La relation aux autres est fatalement développée par des confrontations. L’art permet de regarder le monde au-delà des apparences et des idées reçues, de s’ouvrir à l’autre et d’accepter les différences.

Lisa Boussakhane,
CPE dans un Lycée Professionnel Hôtelier de Haute-Saône

Vie perso/vie pro – Un mariage complexe

Résultats de l’enquête « 800 000 enseignants et moi, et moi, et moi… »

Un travail très prenant

Vous nous dites, à 84%, que vous êtes satisfaits du travail accompli avec vos élèves et épanouis dans votre métier à 68%. Vos inquiétudes et mécontentements ne proviendraient donc pas forcément du cœur du métier.

Articulatvieprovieperso_2i1ion vie pro/vie perso

Vous nous dites que l’articulation vie professionnelle/vie personnelle n’est pas facile à gérer et surtout en début de carrière, pour les enseignants et personnels d’éducation de moins de 40 ans et pour les femmes en particulier.

De plus, pour 45%, votre entourage ne comprend pas forcément vos contraintes professionnelles.

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Porosité entre vie professionnelle et personnelle : des solutions collectives à construire.

Françoise Lantheaume est sociologue et Professeur des universités à l’université Lumière de Lyon 2 où elle est également directrice du laboratoire de recherche Éducation, Cultures et Politiques (ECP).

Auteur de nombreux ouvrages et publications, elle a notamment dirigé une recherche sur les difficultés liées au travail des enseignants et co-écrit « La souffrance des enseignants, une sociologie pragmatique du travail enseignant » avec Christophe Hélou en 2008.

La même année et toujours en collaboration avec Christophe Hélou, elle publie un article « Les difficultés au travail des enseignants : exception ou part constitutive du métier ? », Recherche et formation, p. 65-78

À lire également « L’activité enseignante entre prescription et réel : ruses, petits bonheurs, souffrance ? » Education et sociétés. Revue internationale de Sociologie de l’éducation, 2007, n°19/1, p. 67-81.

Lantheaume, F. (2014). Dimensions cachées du travail : ressource et obstacle face aux épreuves de la sur-prescription – Exemple de professionnels de l’éducation. In P. Remoussenard, En quête du travail caché : enjeux scientifiques, sociaux, pédagogiques(pp. 53-66). Toulouse : Octares.

À votre avis, la demande institutionnelle est-elle un obstacle à la gestion du temps de travail des enseignants ?

Françoise Lantheaume : L’évolution des missions des enseignants, la multiplication et la diversification des tâches et dispositifs prescrits par l’institution depuis les années 1980 mais aussi les attentes des parents et des élèves ont compliqué la gestion de leur temps de travail par les enseignants. Ce mouvement n’est pas propre à la France mais européen. Les espaces de travail et les interlocuteurs se diversifient également aussi la classe est-elle de moins en moins le seul lieu de l’activité, et la multiplication des intervenants extérieurs ou des professionnels avec qui les enseignants sont censés collaborer transforme aussi le temps de travail.

Les enseignants font l’expérience d’un certain émiettement de leur activité et ont le sentiment de courir après le temps pour répondre aux différentes exigences de l’institution, des parents et des partenaires extérieurs. Il y a aussi une plus grande porosité entre temps de travail professionnel et temps personnel et une diminution des temps pour « souffler » lors de la présence à l’école ou dans l’établissement. Cela a des effets sur la fatigue et sur le sentiment, démoralisant, de ne pas parvenir à répondre de façon satisfaisante aux diverses attentes. Pour aborder la gestion du temps de travail par les enseignants, il faut tenir compte de la diversité des tâches et des interlocuteurs ainsi que des espaces où ces tâches sont effectuées.

Nous avons montré (Lantheaume & Hélou, 2008), par exemple, que l’hétérogénéité des classes contraint les enseignants à un travail d’intéressement des élèves toujours renouvelé entraînant un temps de préparation et de suivi du face à face avec les élèves plus important. Plus de scenarios doivent être prévus pour la conduite de classe. Les enseignants réfléchissent en « si…, alors » : « si ce que j’ai prévu ne marche pas, alors je ferai ceci ou cela et si cela ne marche encore pas alors j’essaierai ceci ou cela, etc. ». Anticiper et faire face aux aléas des situations est un défi quotidien qui peut être stimulant, mais qui produit aussi une charge cognitive accrue. Cela réclame des ressources individuelles et collectives plus nombreuses et provoque plus de stress d’autant que les enseignants se mettent parfois eux-mêmes une pression très forte.

Pourquoi est-ce si difficile pour un enseignant d’exprimer ses difficultés à gérer les différents temps de travail ?

Je fais des recherches sur le travail des enseignants depuis plus de 15 ans et je trouve que désormais ils s’expriment plus facilement qu’auparavant sur ces difficultés. Cependant, le doute sur l’efficacité de leur action, la peur du jugement, l’impression d’incompétence que peuvent entraîner les transformations du contenu du travail et de son organisation ne joue pas en faveur d’une expression facile.

L’institution peut-elle œuvrer pour équilibrer le temps personnel et professionnel ? Si oui, de quelle manière ?

Ce qui manque le plus aux enseignants c’est du temps, temps de coordination de l’action, de coopération, de concertation, de formation, de suivi des élèves. Chacun nécessitant des organisations et des espaces adaptés. En 2006, l’OCDE mettait l’accent sur le rôle déterminant des enseignants pour la mise en œuvre des réformes, ce qui signalait une inflexion après des années de méfiance à leur égard. L’OCDE soulignait aussi l’importance des politiques publiques pour la formation et pour éviter le turn over.

L’élévation du niveau de qualification au Master 2 pour leur recrutement, confirme que les enseignants sont des cadres A avec les responsabilités et l’autonomie qui devraient aller avec, mais sans bénéficier du salaire correspondant, ce qui a un effet négatif sur le recrutement et engendre un sentiment d’en « faire beaucoup », d’être envahi par le travail, sans pour autant bénéficier d’une rétribution adaptée. Des rapports ont récemment souligné qu’en matière de traitement les enseignants français ne sont pas bien placés en Europe. L’institution a évidemment un rôle clé à jouer sur tous ces éléments. Agir sur la charge de travail (contenu et répartition), sur la cohérence des injonctions, sur le temps destiné aux échanges entre professionnels aiderait à équilibrer temps personnel et professionnel tandis qu’un salaire au niveau de la qualification serait une reconnaissance du travail.

Vous parlez des « ruses » ou de « l’ingéniosité » de certains enseignants pour palier certaines tensions. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Travailler n’est jamais simplement appliquer des consignes ou reproduire des « bonnes pratiques », c’est inventer des solutions dans des situations précises pour faire ce qui est demandé. Tout travailleur mobilise plusieurs types de ressources : celles du métier (gestes, valeurs, réseau de compétences, savoirs, etc.), celles de l’institution (organisation prescrite du travail, formation, accompagnement, etc.), les ressources propres aux situations de travail (acteurs, dispositifs, objets) et celles relevant de la personne (sens de l’humour, imagination, bienveillance, etc.).

L’ingéniosité permet de trouver des solutions satisfaisantes à la diversité des situations professionnelles. Sans elle, le travail échoue. Des ruses pour bien travailler malgré tous les inattendus et les complications du réel, malgré des organisations du travail parfois inadaptées, sont utilisées car les ressources déjà là ne suffisent pas toujours : il faut alors transgresser parfois les consignes pour conserver le sens du travail, répondre aux injonctions sans trahir les valeurs du métier ni le goût du beau travail. Tout ceci, qui n’est d’ailleurs pas spécifique aux enseignants, exige de créer de nouvelles ressources pour le métier : ingéniosité et ruses en sont des moyens.

Propos recueillis par Béatrice CHALEIX

Nouveau congé parental, vous en pensez quoi ?

Conséquence de la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes adoptée en août 2014, la réforme du congé parental est l’une des mesures destinées à renforcer l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

Si le SE-Unsa soutient cet objectif, il ne peut se satisfaire de ce qui s’annonce dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2015.

Aujourd’hui, le congé parental peut durer 36 mois, pour l’un ou l’autre parent. Or, dans 95% des cas, ce congé est pris par la mère. La principale raison évoquée, au-delà des représentations sur les rôles respectifs des hommes et des femmes dans la société, est la perte salariale trop importante au sein du foyer. En effet, les hommes touchent en moyenne un salaire 25% supérieur à celui des femmes. Ce sont donc elles qui subissent un éloignement du monde professionnel qui impacte leur carrière et leur retraite.

 

La réforme du congé parental prévoit donc de répartir ces 36 mois à égalité entre les 2 parents. Pour le SE-Unsa, il est important d’engager une évolution des mentalités en incitant les hommes à jouir de leur droit. Mais pour que cette mesure ne soit pas uniquement interprétée comme un « coup de rabot » ou une simple économie budgétaire, il faut que les parents aient un réel choix à faire. Il est notamment urgent de réaliser la promesse de 275 000 créations d’accueil d’enfants, notamment en crèche, et de relever le montant de la prestation partagée d’éducation pour qu’elle devienne réellement incitative.

 

Je pense qu’il faut inciter les hommes à profiter du congé parental.

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Je pense qu’obliger la répartition du congé parental est une bonne mesure.

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N’hésitez pas à nous en dire plus dans les commentaires…
 
Crédit photo : Jeton Bajrami

Interview de Dominique Cau-Bareille

Contrairement aux idées reçues, les enseignants jonglent difficilement entre vie personnelle et vie professionnelle. À votre avis, pourquoi ?

Dominique Cau-Bareille : Pour trois raisons principales à mon avis.

L’intensification du travail qui touche les métiers de l’enseignement, sous la forme de changements de programmes fréquents, d’une multiplication des évaluations, d’un alourdissement des tâches administratives, d’injonctions de plus en plus pressantes pour monter des projets, participe à alourdir l’activité hors présentiel des enseignants. De fait, le travail personnel qui se fait généralement au domicile prend de plus en plus de place, contaminant les soirées, les week-ends, plus globalement l’esprit des enseignants ; la sphère privée étant la variable d’ajustement pour réguler les contraintes professionnelles.

Pour les enseignants qui le souhaiteraient, les conditions de travail dans les établissements permettent rarement de pouvoir faire des préparations sur place : les salles de travail sont souvent partagées, le nombre d’ordinateurs pour travailler n’est pas suffisamment important,  l’isolement n’est pas possible, les documents et matériels pour préparer les cours ne sont pas disponibles. Les professeurs n’ont d’autres choix que de travailler à la maison, dans un environnement où ils ont également à tenir d’autres rôles sociaux : celui de parents, de responsable d’association… Dans ces conditions, le travail au domicile s’en trouve morcelé, dispatché à différents moments de la journée ou de la soirée.

Cette liberté de pouvoir travailler chez soi a comme revers une perméabilité des sphères de vie extrêmement importante qui permet difficilement de mettre des frontières entre la vie personnelle et le travail, des témoignages de collègues attestent très souvent de cette difficulté. En témoigne cette enseignante : « Je crois qu’une grosse difficulté du métier enseignant, que j’ai ressentie tout au long de ma carrière, et qui ressort au travers de discussion avec des collègues, c’est qu’on a l’impression de n’avoir jamais fini, c’est-à-dire que je suis chez moi, si je suis toute seule pour regarder un film, quasiment je ne peux pas parce que je vais toujours me dire « Ah oui mais demain j’ai ça à faire », je vais aller vérifier dans mon cartable ! Donc c’est difficile de se dire « je m’arrête à 19h » ; disons que je quitte mon bureau à 19h mais il y a toujours en arrière-plan la journée de demain, donc l’impression que l’on n’a jamais terminé. Moi, j’ai toujours apprécié de faire mon travail en grande partie chez moi parce que ça permet de s’organiser, éventuellement si l’on a à faire quelque chose dans l’après-midi, on s’arrange, on le fait à un autre moment ; mais en même temps, il y a toujours derrière la journée de demain soit parce qu’avec un élève ça ne s’est pas bien passé et on se dit « comment je vais faire demain pour rattraper le coup ! » ou pour…. C’est sans doute vrai dans d’autres professions mais ça c’est quelque chose qu’en tant que prof, je ressens beaucoup. C’est cette préoccupation permanente du travail et qui peut être fatigante, usante ». (F, 56, clg). Continue reading