Quel rapport au temps entretiennent les CPE ?

Didier Racle, CPE dans l’académie de Besançon, a effectué un passionnant travail de recherche sur le rapport au temps des CPE. Il a accepté de répondre à nos questions.

Avec le recul, qu’identifiez-vous comme étant le point de départ de votre mémoire universitaire ?

D’abord l’envie de prendre encore davantage de recul sur l’exercice d’une fonction que j’exerce depuis 1993. Ensuite le besoin, en tant qu’intervenant à l’Espé, de m’inscrire dans une démarche de recherche qui va de pair avec la nécessité de se former. Le master « Parcours et ingénierie de la formation » que j’ai intégré pendant deux années universitaires m’a donné l’opportunité d’aller plus loin dans l’analyse de l’activité des conseillers principaux d’éducation. En analysant le rapport que les CPE entretiennent avec le temps, j’ai tenté de répondre à la question initiale qui débute tout travail de recherches, à savoir : « pourquoi les CPE qui évoquent leur activité avancent systématiquement l’idée d’un temps qui manque ou après lequel ils courent ? »

Et comment vous y êtes-vous pris pour répondre à cette question ?

Il faut d’abord définir les notions abordées en procédant à une revue de littérature. J’ai très rapidement opté pour une approche sociologique. La sociologie propose de découper le temps en une multiplicité de temps sociaux : temps de loisirs, temps de repos, temps du travail…. Mon travail se situe donc bien naturellement dans le temps du travail et plus spécifiquement celui des CPE.

Dans ce cadre, deux approches se sont proposées à moi. Une première qui consiste à appréhender la notion du temps d’un point de vue quantitatif. Il s’agit là d’un temps qui se compte et se décompte. C’est le temps de travail dont la durée est prescrite par les textes réglementaires et qui s’organise et se découpe en fonction des caractéristiques de chaque métier et des besoins de l’organisation qui l’intègre. La seconde approche est davantage qualitative dans une dimension plus subjective d’un temps qui se vit et se ressent : le temps au travail. L’activité est alors découpée en « tranches » de vie » perçues comme plus ou moins contraintes ou choisies. Ces moments se jouent dans des relations interpersonnelles. Ils ont aussi un sens et une valeur et permettent d’accéder à la reconnaissance. J’ai donc décidé d’aller confronter les CPE à cette double approche pour mieux comprendre comment s’organisent et se découpent leur temps de travail et comment ils vivent leur temps au travail.

Comment avez-vous procédé ?

Je suis allé à la rencontre des CPE sur le terrain en utilisant l’entretien semi-directif comme méthode de recueil de données. Mon panel était constitué de 13 CPE également répartis dans tous les types de structures, collèges, lycée professionnel et lycée général et technologique. Certains exercent en solo, d’autres en équipe. Les entretiens se sont déroulés d’octobre 2017 à mars 2018 sur le lieu d’exercice des acteurs concernés. Les entretiens, enregistrés, ont été intégralement retranscrits puis dépouillés et analysés par thématique. Et puisqu’il est question de temps, je peux vous dire que la retranscription et l’analyse de 13 entretiens en requièrent beaucoup !

Avez-vous rencontré des réticences à vous accueillir ?

Aucune. J’avais sollicité une vingtaine de CPE. Tous m’ont spontanément ouvert leur porte sans restriction. Le choix du moment leur avait été laissé, ce qui m’a apporté des éléments d’analyse supplémentaires. Les entretiens se sont déroulés au sein de l’’établissement d’exercice mais, la plupart du temps, il y a eu délocalisation plus ou moins lointaine du bureau des CPE ou des services vie scolaire. Avec parfois des choix de cachettes pour éviter d’être dérangés. Car c’est là l’une des premières caractéristiques du corps des CPE qui se décrivent comme des acteurs sans cesse dérangés.

C’est-à-dire ?

Il suffit demander aux CPE de raconter leur journée de travail pour constater leur incapacité à le faire. Aucun de ceux que j’ai rencontrés n’y est parvenu. Les CPE débutent la journée avec des tâches qu’ils ont prévues d’accomplir mais l’ordonnancement est très vite remis en cause par l’émergence de situations qu’ils vont devoir traiter. L’horizon temporel des CPE ne dépasse pas le quart d’heure avec une impression marquée de ne jamais parvenir à terminer ce qui est commencé d’où la sensation de course. Les CPE aspirent à « se poser ». Des temps de pauses qu’ils s’octroient généralement en prenant leur service avant l’heure et /ou en terminant plus tard. Ces temps supplémentaires relèvent très rarement d’une quelconque pression hiérarchique mais, la plupart du temps, d’une prise d’initiative individuelle des agents qui ont besoin de ces plages de travail supplémentaire pour rattraper le temps perdu dans la journée à gérer des situations souvent qualifiées d’urgence. Pour se sentir apaisés au moment de quitter leur établissement d’exercice, les CPE débordent systématiquement leur grille d’emploi du temps. Ils ont également besoin de ces temps de pause pour exercer leur fonction telle qu’ils l’envisagent idéalement.

Et comment les CPE envisagent-ils cet idéal ?

Pour les CPE, le temps à disposition doit principalement être consacré aux élèves. Ils aimeraient également l’utiliser pour échanger en équipe élargie, avec leurs collègues CPE, les enseignants et les membres de l’équipe de direction. L’idée avancée est celle de l’élaboration d’une stratégie réfléchie sur du long terme qui permettrait une action concertée, cohérente et partagée. Avec en filigrane, l’idée d’une économie de temps qui permettrait aux CPE de vivre leur métier dans un rôle d’éducateur revendiqué. « On transmet de l’éducation » me dira l’un d’eux. Les CPE se reconnaissent pleinement dans ces temps d’éducation qui les mettent en scène dans une relation individuelle ou collective avec les élèves. Ces moments correspondent au sens et à la valeur qu’ils veulent donner à leurs actions. Au cours des entretiens que j’ai menés, les CPE décrivent ces situations le sourire aux lèvres. Ils éprouvent beaucoup de plaisir à les vivre et une certaine émotion à les raconter. Mais les CPE font également état d’une grande insatisfaction et d’un fort sentiment de frustration du fait, d’une part, de la rareté de ces temps, d’autre part, de la difficulté à les vivre sereinement. Le tout est évidemment mis en lien avec la description tourbillonnante de leur quotidien. Pour reprendre l’expression de Yves Clot, « la qualité est empêchée ».

Et quelles en sont les raisons ?

C’est justement à cette question que j’ai tenté de répondre dans le cadre de ma recherche. Comment peut-on expliquer un tel décalage entre l’activité idéalisée et la réalité du métier ? D’autant plus que la circulaire de missions de 2015 avance l’idée d’un CPE concepteur de son activité. Un acteur qui agit dans une perspective éducative et pédagogique à long terme. Alors que sur le terrain, il semble davantage réagir aux aléas et aux imprévus dans des temporalités de l’immédiateté. Le CPE pompier !

Le besoin de « faire ses preuves » et « faire sa place » est prégnante dans le discours des CPE. Ce qui suggère que, 49 ans après la création du corps, cette place, et plus largement la place de la vie scolaire, n’est pas acquise d’emblée mais doit être conquise.

Ce métier ne fait pas partie des professions établies qui, comme le dit E.C Hugues, ne s’occupent que des besoins qui sont tenus pour légitimes. En d’autres termes, l’identité professionnelle des CPE demeure floue, dans un entre-deux qui rend la fonction interprétable et dérivable. À quoi sert un CPE ? Qu’elle est son utilité ? Ces deux questions amènent une multiplicité de réponses de la part des acteurs qui entourent les CPE mais aussi par les CPE eux-mêmes. Ce flou identitaire a des conséquences sur la charge de travail des CPE.

Pouvez-vous préciser ?

Les CPE font, par exemple, l’objet de tentative de délestage. Principalement en provenance des enseignants et des personnels de direction. Avec les enseignants nous sommes dans une sorte de « je t’aime moi non plus ». Il y a d’un côté ceux qui viennent chercher l’expertise du CPE dans le cadre d’un travail de coopération partagé autour des élèves. D’un autre côté, il y a ceux qui sollicitent les CPE dans une optique disciplinaire de maintien de l’ordre ou de service à l’ancienne, façon surgé ! Ils apportent leurs problèmes aux CPE, se « déchargent » sur eux en leur demandant de les régler.

Avec les personnels de direction, on passe à un « je t’aime un peu, beaucoup, passionnément… pas du tout » en fonction de la représentation que ces personnels ont de la fonction. L’importance de cette représentation est d’ailleurs prépondérante puisqu’elle fait dire aux CPE : « je change de chef, je change de métier !». Une preuve supplémentaire du caractère non établie de la fonction. Le délestage des équipes de direction sur les CPE prend la forme de dossiers transmis aux CPE dans un rapport de force plus ou moins conflictuel.

Les CPE ont donc parfois le sentiment de se « faire refiler » le sale boulot. Un des CPE interrogés me parlera d’activité résiduelle qui, faute de trouver preneur, atterrit sur les bureaux des CPE ou dans leur service. L’exécution de ces tâches supplémentaires a mécaniquement une incidence sur le temps de travail. Elle en a également une sur le temps au travail avec d’un côté ce qui est estimé légitime d’accomplir et de l’autre, ce qui ne l’est pas.

Dans votre mémoire, vous parlez également des paradoxes qui traversent l’activité du CPE. Qu’en est-il ?

Pour reprendre ce que nous venons d’évoquer juste avant, si les CPE sont des acteurs sur lesquels on se déleste, paradoxalement, ils sont aussi ce que j’ai appelé des agents compensateurs. L’obligation morale de faire « tourner la boutique » est récurrente dans leur discours. Elle amène les CPE à jouer des rôles qui ne relèvent pas de leur fonction. On se déguise d’ailleurs souvent chez les CPE : en infirmière, en standardiste, en agent technique et parfois en personnel de direction-adjoint avec parfois des conflits de frontière. Les CPE sont animés d’une grande conscience professionnelle qui les caractérisent.

Autre paradoxe : la plainte d’être sans cesse dérangés est accompagnée d’une volonté marquée d’être à tout moment accessibles et disponibles. Les CPE protègent peu leur environnement de travail et se mettent volontiers à disposition des élèves et des acteurs qui les entourent. La porte des CPE est constamment ouverte.

Cette accessibilité et cette disponibilité entraine un « tout arrive chez les CPE ». Tout et n’importe quoi. Le traitement de ce « tout » va permettre de faire les preuves de son utilité, quitte à s’éloigner de son idéal de métier. Des compromis à l’origine d’un troisième paradoxe que j’ai résumé en une phrase : les CPE accomplissent des choses dans lesquelles ils ne se reconnaissent pas mais qu’ils accomplissent pour se sentir reconnus.

Vous avez présenté votre travail à des CPE ? Comment a-t-il été accueilli ?

Je ne l’ai pas encore évoqué mais, à chaque étape de mon travail, il a fallu mettre à distance le CPE que je suis pour que les analyses de l’étudiant que je suis aussi soient les plus objectives possibles. Ce n’est pas la chose la plus simple. Ma directrice de mémoire, Emilie Saunier-Pilarski m’y a bien aidé.

J’ai particulièrement apprécié les temps de présentation qui se sont toujours prolongés par des échanges d’une grande richesse. Les CPE expriment de manière récurrente un déficit de connaissance et de reconnaissance de la fonction. La volonté d’une prise de recul et d’une réflexion sur la pratique professionnelle est également apparue. Dans l’idée encore de « se poser » pour agir et ne plus réagir. Cela, je pense, peut constituer une piste de réflexion de formation initiale ou continue. J’ai proposé l’an prochain de présenter mon travail aux chefs d’établissement ainsi qu’aux enseignants. Cela va sans dire que je suis impatient de voir comment ces groupes réagiront.

Quel regard portez-vous sur le récent rapport de l’inspection générale des finances sur le temps de travail des CPE ?

Pour répondre à cette question, il faut d’abord que je mette à distance l’agacement du professionnel que je suis. L’apprenti chercheur qui s’appuie sur le recueil d’éléments de compréhension sur le terrain répondra que la méconnaissance des pratiques aboutit à des conclusions en décalage total avec la réalité. Suggérer que les CPE n’utilisent pas les 4 heures dont ils disposent librement en plus des 35 heures inscrites à leur emploi du temps, c’est, sans exagération, toucher à leur dignité professionnelle. Les CPE se sentent profondément blessés par de telles supputations qui ne s’appuient sur aucune enquête quantitative ou qualitative.

Les CPE ont les défauts de leur qualité. Ils ne comptent pas leurs heures et débordent régulièrement de leur grille d’emploi du temps sans, souvent, aucune contrepartie financière. Peut-être devraient-ils rompre avec une tradition qui, là encore, s’inscrit dans l’histoire du métier et résonne comme un signe d’appartenance au corps pour mieux faire apparaitre la réalité.

Diriez-vous que votre mémoire a changé quelque chose dans votre pratique professionnelle de CPE ?

Bien sûr ! Le métier de CPE se construit principalement dans l’action, ce qui laisse, encore une fois, peu de temps à la prise de hauteur. Le recueil d’éléments théoriques pendant la phase de revue de littérature permet notamment de se doter d’outils de décryptage des situations vécues sur le terrain, notamment dans les relations interpersonnelles avec les élèves mais aussi et surtout avec les autres acteurs de terrain, notamment les enseignants et les personnels de direction.

Une recherche est toujours susceptible d’en entraîner une autre… Avez-vous un sujet en tête qui vous tient à cœur et que vous aimeriez explorer ?

Si j’avais à l’avance connu l’ampleur de la tâche qui m’attendait, je ne sais pas si je me serais lancé dans cette aventure. Mais quand on y a goûté, on a très vite envie d’y revenir et je me redonnerai sûrement le temps d’aller plus loin. J’aimerais désormais me pencher sur le corps des enseignants et des personnels de direction et tenter de décrypter la façon dont ils appréhendent le temps dans le cadre de leur activité. Cette impression de manque ou de course est-elle partagée ? Vivent-ils au même rythme ? Et, dans une perspective plus large, j’aimerais mesurer l’influence des décalages de rythme de vie et d’appréhension du temps de chacun dans les établissements scolaires sur les relations interpersonnelles et la construction d’un réel travail d’équipe.

Les mille et une initiatives d’un collègue prof doc de Boulogne-Sur-Mer

David Guigui est professeur documentaliste au Lycée Auguste Mariette, un lycée général et technique de centre ville à Boulogne sur Mer, de taille importante puisqu’il accueille presque 1796 élèves et étudiants, pour 178 agents, avec des CPGE, des BTS et un GRETA. Le CDI, avec 2 collègues, peut accueillir 80 élèves en libre accès (rez-de-chaussée), et 60 élèves (4 salles en mezzanine), pour une amplitude d’ouverture de 48h du lundi au samedi. La construction du CDI s’est terminée il y a 3 ans, c’est un des éléments importants du dernier gros chantier de rénovation du lycée.

Vous mettez en place des ateliers dans le CDI, peux-tu expliquer comment ils fonctionnent ?

L’idée de ces « ateliers » vient du concept des bibliothèques 2.0, issu lui-même de la mutation du web 1.0 (l’usager collecte et échange des informations) en web 2.0 collaboratif et participatif (l’usager sélectionne, produit et diffuse des contenus). En effet, les bibliothèques « propriétaires de l’information » se sont d’abord transformées en bibliothèques « d’usage de l’information », puis en bibliothèques « d’usage de services de l’information », puis en bibliothèques « d’usage collaboratif et participatif de l’information ».

Historiquement, la culture et les savoirs étaient la propriété patrimoniale exclusive des bibliothèques, puis sont devenus accessibles aux universitaires, puis au grand public sous contrôle des bibliothécaires, et enfin l’apparition du service public a permis l’accès libre à l’usager. Aujourd’hui, et notamment avec internet, il a la possibilité de devenir prescripteur, producteur et diffuseur avec son niveau d’expertise dans ses champs de compétences. Wikipedia, vaste projet d’encyclopédie collaborative, en est l’exemple le plus connu. Sur ce modèle de partage transversal de l’information, nous avons souhaité créer au CDI des moments conviviaux d’apprentissage, d’enseignement et de partage ouverts à toute personne de l’établissement souhaitant partager ses connaissances.

Est-ce que ce sont les élèves et collègues qui se proposent ou est-ce vous qui repérez des intervenants potentiels ?

Les 2 sont possibles, l’idéal pour nous étant une initiative personnelle ou collective. Lors d’événements institutionnels comme la semaine de la presse, des mathématiques, du développement durable, etc. nous lançons un appel d’offre à l’ensemble de la communauté via l’ENT, en sollicitant en priorité les personnes que nous savons compétentes dans le domaine.

Quand c’est un collègue qui présente quelque chose, comment est-ce perçu par les élèves ?

C’est lorsque le sujet abordé déborde des disciplines scolaires ou les décloisonne que l’on observe un rapprochement dans la relation entre l’adulte et l’adolescent. L’élève réduit souvent l’adulte à sa seule activité professionnelle au sein de l’établissement, ouvert à rien d’autre que ce pour quoi il est rémunéré (l’enseignant, l’agent de service, de restauration, l’administratif…). Inversement, l’adolescent n’est souvent perçu qu’à travers son profil d’élève dans l’établissement qu’il fréquente… Les compétences, les goûts, les savoirs-faire, les connaissances, la culture, la curiosité permettent de révéler une part inconnue de chacun, créant des affinités et du lien avec les autres.

Est-ce qu’il y a un programme à l’année, ou par période, un rythme régulier ?

Nous balisons dans l’agenda du CDI tous les événements locaux, académiques, nationaux et internationaux :

  • journée internationale des droits des femmes, de l’homme, de l’enfant, du handicap, contre l’homophobie, etc.
  • les semaines thématiques (mathématiques, presse, développement durable, goût, langues…)
  • Puis nous ajoutons d’autres dates en fonction de l’actualité, ou des initiatives personnelles ou collectives.

Comment est organisée la participation à une séance ?

La participation est la variable la plus délicate à évaluer dans les projets, surtout dans notre lycée où les élèves ont des semaines très chargées. La meilleure configuration est de fonctionner avec des personnes volontaires sur leurs temps libres, plutôt que de l’imposer à un groupe classe sur le temps de travail. Nous essayons toujours d’anticiper la participation en prévoyant une communication suffisamment en amont pour permettre l’inscription libre des volontaires ou pour inviter un public ciblé, et puis on peut toujours compter sur la participation spontanée du public de passage au CDI. De notre point de vue, la qualité l’emporte toujours sur la quantité, et si les 2 sont satisfaites, c’est un succès !!! La pause méridienne, avant 9h et après 16h sont les moments où le CDI est le plus fréquenté (comme dans beaucoup d’établissements).

Peux-tu donner des exemples de sujets qui ont beaucoup plu ?

Un « Club Manga » : 3 fois 1 heure par semaine au CDI à la pause méridienne, à l’initiative de 2 élèves de TL et TS (de 10 à 15 élèves).

Un « Atelier LSF » (Langue des Signes Françaises) : 1h par semaine au CDI à la pause méridienne, à l’initiative de 2 élèves de seconde et première (5 à 10 élèves + 2 enseignants)

Une « Japan Week » : à mon initiative, mais organisée en grande partie par le club manga, 1 semaine d’événements autour de la culture japonaise avant les vacances de Noël (ateliers d’origami, de furoshiki, de tawashi, d’amigurumi, de langue japonaise, de haïkus et une cérémonie du thé. Une dégustation de pâtisseries japonaises, un ciné-dégustation sur les dorayakis et un cours de dessin avec une mangaka ou encore une bourse aux mangas…). Ce fut un gros succès au CDI avec une belle participation de TOUTE la communauté du lycée, les élèves et le personnel, y compris la direction.

« L’instant culture » : 2 heures par mois à la pause méridienne à l’initiative de l’équipe des rédacteurs du journal du lycée, un rendez-vous au CDI pour parler de littérature, de cinéma, de théâtre… sur un thème ou une actualité (de 10 à 20 élèves et des enseignants)

Ateliers « Zéro déchet » : plusieurs demi-journées dans l’année sur la sensibilisation et les expériences pratiques quotidiennes visant à réduire la quantité de déchets, à notre initiative, avec la participation de l’association « Zero Waste Boulogne » (très bonne participation des élèves et du personnel du lycée)

Cours et compétions de Rubik’s Cube : plusieurs heures dans l’année, à l’initiative de 2 élèves de première et terminale S (10 à 15 élèves et 2-3 adultes)

Cours et compétition d’échecs avec ciné-débat sur le film « Le prodige » : 1 après-midi en mars, à l’initiative d’1 élève de BTS, avec la participation de bénévoles du club d’échecs de Boulogne (participation d’élèves et enseignants)

« Découverte de l’impression 3D » : 1 demi journée, à notre initiative, avec la participation du CRIAC qui ont amené les imprimantes, les ordinateurs et logiciels (8 classes sont venues observer une classe en train de concevoir et réaliser). Gros succès !

Présentation de l’engagement solidaire avec des témoignages d’expérience : 4 demi-journées, à notre initiative, avec la participation de France Bénévolat (10 classes environ).

Est-ce que vous avez des demandes sur des thèmes précis ?

Oui, les plus fréquentes sont le cinéma, la littérature, la BD et les mangas, les jeux vidéo, la programmation et l’informatique, la photo et la vidéo, les arts créatifs, la cuisine et la gastronomie, le bricolage, les jeux de société, l’écologie et le développement durable.

Est-ce que vous avez remarqué une incidence sur la fréquentation, ou l’image du CDI ?

La fréquentation est devenue plus variée, avec une augmentation significative de celle des « scientifiques » (élèves et enseignants) et du personnel non-enseignant. La dynamique événementielle du lieu évite son utilisation réduite à celle d’une salle de travail pour y faire ses devoirs. Ces événements permettent d’actualiser le fonds documentaire et de le mettre en valeur. Ce sont également des occasions de renforcer la position centrale du CDI dans l’établissement, de démontrer son ouverture culturelle et pluridisciplinaire (en particulier avec les sciences dures !)

Comment concevez-vous la place du professeur documentaliste dans ce dispositif ?

Au même titre que le CDI, notre rôle ne se cantonne pas à veiller au silence et enregistrer les prêts, cela nous permet d’assurer pleinement notre rôle de médiateur culturel et pédagogique entre les différents protagonistes de ces événements.

Quels sont les autres projets que vous aimeriez développer ?

Développer plus de DIY (Do It Yourself) autour du développement durable (produits ménagers, cosmétiques…), arriver à créer des événements périodiques du genre « repair café », des ateliers scientifiques de vulgarisation pour montrer ce que l’on fait dans les labos, des ateliers de sensibilisation et de découverte sur les personnes en situation de handicap, sous la forme de jeu de rôle pour se mettre à la place de…

Qu’aimerais-tu ajouter ?

Il faut être vigilant à ce que les sujets et les thèmes abordés puissent décloisonner les connaissances des disciplines tout en y faisant sens, et ne pas les présenter comme un obstacle à surmonter. L’idée est de pouvoir toucher le plus vaste public. le côté pratique doit vraiment l’emporter sur la théorie.

Pourquoi replonger dans ses racines et en faire un livre ? Harry CPE témoigne…

Trente ans après l’avoir quittée, Théodore Harry Boutrin CPE, retrouve et redécouvre sa Martinique, dans le cadre d’un congé bonifié. Cette immersion, dans un environnement évocateur, l’inonde d’émotions, de tendresses, et de surprises… Il raconte cette expérience unique dans un livre et a accepté de répondre à nos questions.

Qu’est ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?

Au départ, je voulais juste écrire une lettre à mes enfants pour répondre à leurs questions sur mes origines, et en plus de satisfaire leur curiosité, leur transmettre quelque chose d’utile.

Lorsque j’ai pu établir un lien clair entre le congé bonifié, l’intensité des souvenirs et la construction identitaire, alors le récit destiné à mes enfants est devenu progressivement un cheminement vers la construction d’un tapuscrit.

Et puis, j’ai trouvé là l’occasion, de dire à ceux qui pensent que le congé bonifié n’est qu’une histoire de vacances sous les tropiques, que c’est bien plus que cela.

L’écriture m’a également offert un formidable terrain de réflexion et d’expression pour rendre hommage à des personnes qui ont compté et qui comptent dans ma vie, en particulier ma mère et ma grand-mère, des femmes courageuses, obstinées, aux forces décuplées, pour donner à leurs enfants une vie plus honorable.

Que représente pour vous le retour sur votre terre natale ?

C’est ma madeleine de Proust, ces saveurs que l’on ne trouve nulle part ailleurs, cette singularité des Martiniquais que j’avais oubliée, dans leur rapport aux autres, leur abnégation à toujours positiver. C’est une redécouverte enrichissante et instructive qui me procure des énergies positives afin de poursuivre ma vie. C’est cela pour moi se ressourcer.

En Martinique, parce que je suis dans cet environnement évocateur, les souvenirs m’inondent et me procurent une palette d’émotions intenses, riches d’enseignements, car elles m’invitent à leur donner un sens.

C’est ce qui fonde tout l’intérêt de se rendre sur sa terre natale, le passé redevient présent comme pour l’éclairer.

Cette expérience très intime n’est pas spécifique à ma condition d’Ultra-marin, je suis convaincu qu’elle est universelle.

Pourquoi avoir voulu partager votre histoire ?

La rendre accessible à d’autres lecteurs que ceux de ma famille n’était pas une chose évidente. Se dévoiler publiquement implique une prise de risques à laquelle je ne suis pas habitué. Mais le désir, de partager, de questionner d’autres sur la relation qui est la leur avec leurs origines, l’a emporté.

J’espère, avec mon livre, contribuer à préserver une mémoire familiale, et bien au-delà, car je décris des lieux, des événements, une époque qui sont évocateurs pour une communauté plus large que la sphère de mes proches.

Vous parlez d’identité, comment caractérisez-vous la vôtre ?

On devrait à mon sens parler d’identités (au pluriel), car les domaines où elle s’exerce sont nombreux.

Au sens intime, c’est-à-dire le regard que l’on porte sur soi, je vois l’identité, comme la conscience des caractéristiques intrinsèques qui fondent sa singularité, sa personnalité, pour le dire simplement une façon très personnelle de se représenter et d’exprimer la vie, dans des domaines divers, par exemple le langage, les arts, le rapport aux autres, à l’espace et au temps et le cadre professionnel.

Mais elle est perméable à la pression sociale dans la mesure où cette identité peut être influencée par la société qui classe les individus selon des attributs catégoriels (sexe, couleur, origine géographique…), impliquant des positions sociales et des comportements attendus. L’identité est donc une unité originale, en interaction avec une dynamique sociétale.

Édouard Glissant exprime fort bien cette idée dans son livre « tout monde » par la phrase « je peux changer en échangeant avec l’autre sans me perdre pour autant ni me dénaturer ».

En ce qui me concerne, sur le plan linguistique par exemple, mon identité se caractérise souvent par l’usage du créole qui bien plus qu’un moyen de communication, exprime une origine, une façon singulière d’incarner la vie, qui produit des représentations très personnelles et des interactions bien spécifiques.

Pour citer d’autres domaines, j’évoquerai l’art culinaire. Lorsque je mange un plat antillais, je mets en bouche en petit bout de territoire avec lequel j’ai une histoire. Le goût est une saveur évocatrice, que je cherche à provoquer.

J’ajouterai le rapport au temps. Lorsque je suis arrivé en métropole, j’avais l’impression que le temps passait plus vite, et j’étais parfois perçu comme quelqu’un qui était lent. Mais en réalité, j’avais appris à prendre mon temps c’était une des caractéristiques de mon identité. Je me suis adapté, mais je ne pense pas l’avoir totalement perdue.

Il y a d’autres domaines, mais j’en terminerai par l’identité professionnelle en référence à une citation de Marie-Pezé, psychologue clinicienne : « travailler c’est apporter quelque chose de soi ». D’ailleurs la formation initiale des CPE vise à les accompagner vers la construction d’une identité professionnelle. Cela signifie l’acquisition de savoirs et le développement progressif de compétences transposables avec un certain niveau de maîtrise dans un environnement complexe.

L’identité, à mon sens, c’est donc s’approprier à notre façon ce que l’on veut, mais sans être certain de plaire.

La question de l’identité est prégnante dans mon métier (CPE), car je rencontre des jeunes venus de tous horizons et qui se questionnent sur leurs origines sans forcément l’exprimer clairement.

Pourriez-vous développer sur le lien avec les missions d’un CPE ?

L’éducation à la citoyenneté est un des axes principaux de ma mission de CPE.

La citoyenneté active va bien au-delà du respect des règles, car elle suppose l’idée d’engagement, de participation à la vie collective. Chacun a quelque chose de personnel à apporter pour enrichir la communauté. Cela peut être une idée, un peu de son temps pour élaborer un projet ou faire fonctionner une instance démocratique.

Mais je crois que l’engagement suppose deux choses importantes. Une volonté et l’estime de soi.

Il arrive que les élèves ne s’engagent pas non par manque d’estime d’eux-mêmes, mais parce que le sujet ne les intéresse pas, ils n’en voient pas l’utilité. Ce désengagement révèle donc une perte de sens. L’éducateur que je suis doit alors s’impliquer pour clarifier, expliquer et encourager.

Et puis il y a ceux qui ne s’engagent pas parce qu’ils sont réservés, et d’autres qui ont peur de s’exposer.

Je comprends cela, j’évoque d’ailleurs dans mon livre mes peurs, leurs origines et leurs conséquences. La peur est une réaction naturelle qui met en alerte face à un danger réel ou supposé. Elle est parfois irrationnelle et peut relever d’une construction, d’une croyance.

J’ai parfois remarqué que certains élèves qui ont peur de s’engager dans des choses simples comme une prise de parole en classe n’osent plus en raison d’un échec non surmonté. Une mauvaise réponse et un retour mal vécu, des moqueries de leurs camarades en raison de leur accent en anglais, ces petites situations où l’élève est ressorti avec un sentiment d’humiliation. C’est dévastateur sur le plan de la construction identitaire.

Pour surmonter cela, il faut bâtir une nouvelle expérience pour déconstruire l’ancienne vécue tel un échec dominateur et installé. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire.

Pour aider les élèves, comme mes collègues CPE, je travaille avec d’autres professionnels (psychologues de l’éducation nationale, sophrologues…) qui aident les jeunes à développer leur potentiel et faire de nouvelles expériences.

L’estime de soi est selon moi la base de tout engagement. C’est un éclairage sur soi, suffisamment valorisant pour oser. Il faut aider le jeune à en faire un élément clé de son identité.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour réaliser ce livre ?

D’abord me convaincre que c’était possible. Il m’a fallu beaucoup de temps et sans les encouragements et le soutien indéfectible de ma mère, de mon épouse et de Claude-Josse qui fut mon professeur de français il y a plus de 25 ans, je n’y serais pas arrivé. La réussite se construit aussi avec d’autres.

Certains souvenirs douloureux ont refait surface. Ils sont sortis telle la poussière sous le tapis accompagné d’émotions désagréables. Mais au final, ils m’ont apporté des enseignements enrichissants et libérateurs.

Et puis j’ai dû fournir un travail important dans un temps réduit, car j’ai une activité professionnelle et une vie de famille. Alors j’écrivais parfois la nuit ou tôt le matin, ce qui entrainait indubitablement des moments de fatigue durant la journée.

À certains moments j’ai manqué d’inspiration, sur une période plus ou moins longue. Certains passages ne me convenaient pas, J’ai dû les refaire de nombreuses fois. Cette abnégation m’a parfois renvoyé à nos élèves, ce que nous leur apprenons si souvent. Croire en eux et persévérer.

Enfin, qu’aimeriez-vous que l’on retienne de votre livre ?

Les préjugés peuvent être blessants. Il est bien plus enrichissant de considérer les différences comme une richesse que de les enfermer dans une spécificité catégorielle impliquant souvent une vision réductrice.

Un être humain, un citoyen c’est bien plus que la couleur de ses cheveux, ses yeux, sa peau, ses origines… Ce ne sont là que quelques indications sommaires.

J’aimerais que mon livre encourage celles et ceux qui hésitent à s’engager dans un travail d’écriture, en vue d’une publication ou pas, car cela vaut vraiment la peine de s’y consacrer, en dépit des difficultés. C’est à la fois libérateur et valorisant. En ce qui me concerne, j’étais très motivé à l’idée de transmettre à mes enfants un message qui me paraît important. L’identité, ce n’est ni le repli sur soi, ni le reniement de soi.

Il conjugue à mon sens citoyenneté et estime de soi.

Comment se procurer votre ouvrage ?

Dans toutes les librairies et sur internet. Pour en savoir plus, vous pouvez cliquer sur l’image ci-dessous.