Entre khôlles et collège : trouver son équilibre

Paul est un jeune professeur de SVT. Il enseigne actuellement en collège et donne en parallèle des heures de khôlles* en CPGE scientifique.

Quel est ton parcours d’enseignant ?

Après ma réussite au concours de l’agrégation j’ai été stagiaire en lycée en Alsace. J’ai ensuite été muté dans l’Académie de Créteil où j’ai continué à enseigner en lycée. Puis j’ai pu revenir en Alsace en obtenant un poste spécifique au collège international à Strasbourg, notamment grâce à mes deux certifications complémentaires (DNL** allemand et anglais).

Comment en es-tu arrivé à assurer des heures de khôlles ?

J’ai fait la démarche de contacter une ancienne professeur de la classe préparatoire où j’ai étudié.

C’est pour moi un bon moyen de ne pas perdre les connaissances accumulées en préparant l’agrégation et de me faire plaisir avec de la science plus exigeante que ce que je fais en collège.

Je pense que je suis tombé au bon moment car ils avaient des besoins. La plupart des khôlleurs que je connais sont d’anciens élèves de CPGE qui se sont proposés, mais parfois les enseignants vont chercher des khôlleurs qui ne sont pas passés par la prépa quand ils ont besoin d’un·e spécialiste d’une discipline.

Cela ne passe pas par les inspecteurs mais chaque année je dois faire une demande d’autorisation de cumul d’activité, que mon chef d’établissement et que le rectorat doivent valider. Et ils peuvent l’un et/ou l’autre dire non.

En quoi est-ce différent d’enseigner à des élèves de classes préparatoires?

Alors enseigner et faire des khôlles c’est très différent. J’ai assuré un remplacement en CPGE donc je peux aussi en parler. Il y a beaucoup moins d’éducation : presque tout l’aspect vie de groupe, gestion de classe disparaît. C’est très vertical, je transmets et l’étudiant « consomme ».

En khôlle il y a beaucoup d’échanges car c’est un oral : les étudiants parlent beaucoup, ils posent des questions, je leur en pose beaucoup, je les interroge pour revenir sur certaines erreurs et approfondir certains points qui n’ont pas été traités. Je les aide à progresser. Ça n’a rien à voir avec ce que je fais au collège. C’est une prise de recul sur des connaissances précises, ça demande de l’esprit de synthèse, un retour sur ce qui a été fait en classe sous un angle différent.

Quel est le travail supplémentaire induit par la préparation des khôlles ?

Alors cela dépend de quelle discipline et dans quelle classe prépa on khôlle. Par exemple je khôlle dans une prépa où les étudiants viennent d’un bac technologique pour une classe et dans l’autre ils sortent d’un bac général.

Cela peut donc être simplement le choix de sujet et réfléchir à ce que j’en attends (plan, notions attendues) en fonction des programmes. Je révise éventuellement certains points sur lesquels je ne suis pas à l’aise.

Dans l’autre classe, un exercice d’analyse de documents scientifiques issus de publications s’ajoute. Je choisis donc dans une banque de sujets et je prépare les attendus ainsi que les questions qui articulent le sujet et l’exercice. La première année ça me prenait du temps mais au fur et à mesure on maîtrise mieux et on prend des habitudes, cela demande donc moins de travail.

En quoi trouves-tu cela enrichissant dans un parcours d’enseignant?

C’est déjà la possibilité de faire progresser les élèves, dans le mesure où c’est une relation plus individuelle, même si je ne les vois pas suffisamment souvent, contrairement à d’autres khôlleurs.

Ça me permet de rester au niveau intellectuellement, de prendre du recul.

Et cela m’apporte aussi une vision du niveau auquel doit arriver un élève en fin de secondaire s’il veut pouvoir faire des filières exigeantes.

Je considère cela vraiment comme une plus-value et j’y prends du plaisir même si c’est un travail vraiment intense.

Est-ce que l’aspect financier entre en ligne de compte dans ton choix de faire des khôlles ?

Alors il y a une idée répandue selon laquelle c’est bien payé. Mais quand je viens pour trois étudiants, je suis là deux heures (distribution du sujet puis trois passages de trente minutes) mais je ne suis payé que pour le temps d’interrogation. Et ces heures ne sont pas défiscalisées (NDLR : « Lorsque l’activité CPGE est inférieure à 50 %, les heures d’interrogation de CPGE n’entrent pas dans le cadre des heures défiscalisées).

Donc ce n’est vraiment pas pour l’argent que je fais ça. Je gagnerais plus en faisant des heures supplémentaires en collège, dans le dispositif « devoirs faits » notamment, qui ne demande pas de préparation et où une heure est comptée une heure.

Selon toi, est-ce un passage obligé ou tout du moins une porte d’entrée pour accéder à un poste spécifique en classe préparatoire ?

Oui je pense qu’intervenir dans le supérieur est une manière de se faire connaître. Parce que j’ai fait des khôlles, j’ai eu l’opportunité de faire un remplacement de congé maternité en CPGE. Je suis donc sur la liste des potentielles recrues si un poste se libère. Plusieurs collègues sont arrivés en prépa en ayant suivi ce chemin-là, ils se sont faits connaître de l’Inspection générale. Mais il doit exister d’autres moyens.

*Une khôlle ou colle désigne une interrogation orale, individuelle ou collective, s’inscrivant dans le cursus des classes préparatoires aux grandes écoles.
**DNL (Discipline Non Linguistique) est une matière générale qui est enseignée en langue étrangère.

Crédit photo : Ernesto Eslava de Pixabay CCO Public Domain

Mickaëlle, agrégée et enseignante à l’université

Mickaëlle a été recrutée sur un poste de PRAG en Martinique, à l’université des Antilles, depuis 3 ans. Après des études en CPGE et à l’université, en mathématiques appliquées, avec un parcours recherche et une préparation à l’agrégation, elle a enseigné comme TZR, au collège et seulement une année en poste fixe au lycée.

En quoi l’enseignement à l’université est-il différent de ce qu’on vit dans le second degré ? Comment es-tu devenue enseignante à l’université ?

J’ai candidaté sur l’application « Galaxie » pour un poste à pourvoir à l’université, j’ai été auditionnée tout comme 4 autres candidats par des enseignants de l’université. L’entretien a porté sur mon parcours, mes capacités, mes engagements professionnels, et j’ai pu mettre en valeur les khôles effectuées en prépa, mes vacations dans l’enseignement supérieur, et mes compétences en informatique.

Comment s’est passée l’arrivée sur ce nouveau poste ?

Quand on est recrutée comme PRAG, on formule des vœux auprès du responsable de filière pour savoir quels enseignements on veut assurer, la discussion est collégiale avec les autres enseignants de l’équipe, mais on a beaucoup d’heures à assurer comme PRAG, le double par rapport aux maîtres de conférences, donc on prend aussi ce qui reste, notamment ce qui est « non-spécialisé », ce qui est transversal. Cette année j’assure ainsi des enseignements en L1 (analyse, raisonnement), en L2 (algèbre, probabilités), en L3 (méthodes numériques) et un TD en master.

Assures-tu d’autres missions en dehors de l’enseignement à l’université ?

Je suis directrice des études en première année, je suis donc en première ligne pour répondre aux questions des étudiants sur leur orientation et j’interviens en commission pédagogique.

Avec ton expérience, quels sont selon toi les avantages et les inconvénients de l’enseignement à l’université ?

À l’université, les contacts avec les collègues sont différents, la hiérarchie est plus présente. Les enjeux politiques aussi sont plus forts avec l’autonomie des universités. Ce qui est très intéressant, c’est le rapport aux étudiants : ils sont motivés, respectueux, le relationnel est plus franc… en revanche, n’ayez aucune illusion : vous n’aurez pas plus de temps libre en étant enseignant à l’université !

Penses-tu qu’enseigner à l’université permet de faciliter la mobilité professionnelle des agrégés ?

Ce qu’on vit à l’université n’est pas forcément transférable dans le second degré, la façon d’enseigner n’est pas la même, on apporte surtout à l’université notre savoir-faire du second degré ce qui nous permet de sortir du clivage Cours Magistral / TD dans notre manière de faire. Enseigner à l’université peut permettre après de candidater pour un poste en CPGE ou pour devenir maître de conférences après un doctorat mais ce n’est pas facile. Il faudrait faciliter le passage de PRAG à maître de conférences. Une autre difficulté c’est de se réadapter pour l’enseignement dans le second degré après des années dans l’enseignement supérieur, ce qui n’est pas prévu aujourd’hui.