Le parcours d’Arnaud, autiste Asperger élève de terminale STMG

La maman d’Arnaud, jeune autiste de 17 ans actuellement en terminale STMG, nous raconte son parcours scolaire. Une inclusion qui ne relevait pas de l’évidence mais qui s’est révélée tout à fait réalisable et profitable malgré les nombreuses réticences et obstacles rencontrés…

À chaque rentrée, c’est la même chose : on parle des réformes, des effectifs, et aussi, parfois, de l’inclusion scolaire des élèves porteurs de handicap. Une inclusion qui ne coule pas encore de source, treize ans après la loi handicap, notamment du fait du manque d’accompagnants pour ces enfants et adolescents à besoins particuliers.

Pourtant, l’inclusion, ça peut marcher même si c’est compliqué, même si ça demande des efforts. Ça a marché pour mon fils Arnaud, 17 ans, atteint du syndrome d’Asperger, une forme d’autisme sans retard intellectuel.

Arnaud vient de faire son entrée en terminale STMG dans le lycée de secteur. Il part avec un bon matelas de 34 points d’avance pour le bac, après les épreuves anticipées de première pour lesquelles il a bénéficié d’un tiers temps et de la présence d’un AESH pour reformulation des consignes. Il n’a jamais redoublé, n’a jamais eu d’heure de colle ou de sanction, n’a jamais eu un seul retard. Et pourtant, tout n’a pas été simple et il a fallu sans cesse qu’il fasse ses preuves, année après année. Et l’école, il a bien failli ne jamais la connaître…

En maternelle, c’était la catastrophe : il ne restait pas en place, se levait pendant la classe pour sortir et restait en marge de ses camarades. Il refusait de suivre la moindre consigne. Ses cahiers restaient désespérément vides. Pour l’entrée en CP, nous avons constitué un dossier MDPH pour obtenir une AVS. Première difficulté pour nous : encaisser le « H » de l’acronyme, ce H qui veut dire handicapé…

C’est pendant les années de maternelle que nous avons débuté une prise en charge en CMPP, qui allait durer plusieurs années et s’avérer catastrophique, à l’image de cette première séance où le psychiatre nous a abruptement annoncé que notre fils serait incapable de suivre une scolarité ordinaire et que sa place était en IME (Institut Médico Educatif).

Nous avons été très chanceux car dès l’entrée en CP, Arnaud a bénéficié de l’aide de deux AVS, qui se relayaient au cours de la semaine, sur 18 heures. L’un comme l’autre étaient pleins de bonne volonté, mais sans formation, ils en étaient réduits à « naviguer à vue ».

Arnaud a aussi été suivi par un enseignant rééducateur dans le cadre du RASED1 pendant quelques séances.

L’AVS a été reconduite d’année en année, ce qui a permis à Arnaud de faire de très gros progrès sur le plan comportemental et scolaire. Le rôle de l’AVS consistait principalement à le rassurer et à reformuler certaines consignes trop abstraites.

La bienveillance des enseignants de l’école a par ailleurs joué un grand rôle dans cette évolution positive : ils ont souvent été désarmés, mais ils ont su trouver les mots et l’approche pédagogique pour lui permettre d’évoluer à son rythme, en tenant compte au maximum de ses particularités. Je leur en serai éternellement reconnaissante.

À l’école, chaque année a été rythmée par les réunions de l’équipe de suivi, une véritable épreuve pour nous : à chaque fois, on nous disait que si, jusqu’à présent, il avait réussi à s’en sortir à force de persévérance et de volonté, il en irait autrement l’année suivante, où de nouvelles compétences, plus compliquées, allaient être mobilisées. L’impression d’être constamment en sursis, alors pourtant qu’il ne déméritait pas.

Au moment de l’entrée au collège, un bilan réalisé dans un hôpital psychiatrique bien connu a conclu à la nécessité d’une prise en charge psychanalytique au long cours et à une orientation en hôpital de jour. Je dois préciser qu’à cette époque, alors qu’Arnaud avait 10 ans, le diagnostic n’était toujours pas posé par le CMPP, pour ne pas, nous disait-on, « figer les choses ».

Nous avons radicalement changé de prise en charge pour nous orienter vers les thérapies cognitivo-comportementales et refusé cette orientation en hôpital de jour. Nous avons opté pour le collège de secteur. Un choix qui s’est révélé payant, puisqu’il y a poursuivi une scolarité normale, en se situant toujours dans la moyenne de sa classe, et sans autre aménagement que la présence d’une AVS, 18 heures par semaine, puis 12 heures. On nous avait dit qu’il serait perdu dans un grand collège : il s’y est pourtant senti comme un poisson dans l’eau, mettant ses facultés de mémorisation au service de ses camarades pour leur indiquer leurs salles de cours et leurs emplois du temps !

Chaque année, j’ai conçu et distribué à l’équipe enseignante un petit fascicule de quatre pages expliquant simplement ce qu’est le syndrome d’Asperger et quelles en sont les manifestations chez Arnaud. Tous les enseignants m’ont dit s’en être beaucoup servi pour trouver comment aborder mon fils.

Tout n’a pas toujours été rose : il y a eu quelques moqueries, quelques incompréhensions, quelques difficultés d’intégration avec ses pairs, davantage d’ailleurs avec les élèves « têtes de classe » qu’avec les camarades moins scolaires. La scolarité en milieu ordinaire a exigé de nous, ses parents, certains sacrifices : nous avons mis en place une « machine de guerre » pour l’aider au maximum dans ses apprentissages. L’investissement a été immense, à coup de week-ends et de vacances sacrifiés pour réviser tout le programme, mais le jeu en valait la chandelle.

Après le collège, Arnaud a poursuivi sa scolarité au lycée de secteur, en seconde générale, malgré les doutes de l’équipe pédagogique – je serais tentée de dire « comme d’habitude » – sur ses capacités à investir les apprentissages au lycée. Comble de l’ironie : il a tellement bien investi ces apprentissages qu’en fin de seconde, quand nous avons opté pour une première technologique (STMG), qui correspond mieux à son profil, nous nous sommes entendu dire que nous manquions d’ambition !

L’ambition, nous en avons pourtant toujours eu pour lui, convaincus qu’il pouvait largement être à la hauteur. Même s’il a fallu parfois batailler pour le faire admettre aux autres. Le fait d’avoir été constamment en sursis et sommé de faire ses preuves lui a donné une motivation et une volonté que beaucoup d’élèves neurotypiques (non autistes) pourraient lui envier.

Tous les Aspies (autistes Asperger) n’en sont peut-être pas capables. Ce n’est que notre expérience, et je ne prétendrai jamais parler au nom de tous les parents, tant l’autisme a des visages divers, et tant les atteintes sont variables d’un individu à un autre. Mais je suis convaincue que la plupart de ces enfants ont les capacités d’évoluer, pour peu qu’on les aide, qu’on leur fasse confiance et surtout, qu’on ne les exclut pas par principe, du seul fait de leur différence.

Les Aspies ont souvent d’immenses ressources, des surcapacités qui peuvent être exploitées, mais cela suppose de s’adapter un peu à eux et d’être attentif à leurs rapports avec les autres. J’ai l’espoir que ce type de témoignage ne sera un jour plus nécessaire, parce que la scolarisation et la réussite de ces enfants seront devenus tellement naturelles qu’il n’y aura même plus besoin d’en témoigner. Ce jour-là, c’est la société tout entière, et pas seulement l’école, qui sera devenue inclusive.

1 Réseau d’aide spécialisée aux élèves en difficulté

Crédit image : Pixabay CCO Public Domain

D’assistante d’éducation à CPE, le témoignage de Magali

La richesse du parcours de Magali ne peut que retenir notre attention. Elle exerce aujourd’hui le métier de CPE à la lumière d’expériences  précédentes qui donnent une autre dimension à sa pratique professionnelle. À la fois réflexive et pragmatique, elle s’apprête à découvrir de nouveaux horizons géographiques avec un objectif : avancer et se remettre en question.

1) Avant de réussir le concours de CPE, vous avez exercé la fonction d’assistante d’éducation dans un EREA du département du Rhône. Quels sont les grands enseignements que vous tirez de cette expérience, en particulier dans l’accompagnement des élèves en difficulté ?

Le travail en EREA (celui de Villeurbanne étant spécialisé dans la Déficience visuelle) est une leçon de vie.

À titre personnel, je n’avais jamais été confrontée à l’accompagnement d’un public porteur de handicap. L’ouverture d’esprit apportée par cette expérience est comparable à celle du voyage. La richesse des échanges avec des élèves qui parlent sans tabous de leurs difficultés conduit à la prise de conscience d’une réalité méconnue.

La collaboration est indispensable, non seulement avec les éducateurs présents sur le collège en permanence (surtout à l’internat), mais également avec l’équipe médicale (plateau technique important).

Certains élèves présentant des pathologies très sévères rendent impératifs une surveillance et un accompagnement accrus.

Il est évident que ce type de prise en charge favorise le lien à l’enfant. Il nécessite d’être à l’écoute des besoins des élèves tout en maintenant le même cadre que pour tout autre jeune de l’enseignement ordinaire.

Il faut trouver un juste équilibre entre l’adaptation bienveillante à un public particulier et la fermeté garante du cadre éducatif et indispensable à la bonne marche du service.

Le nombre restreint d’élèves par classe permet un suivi de plus grande proximité où chaque enfant doit être pris en compte dans sa singularité ( adaptation des supports d’enseignements et de travail inhérent aux différents troubles de la vision ). La « souplesse » pédagogique est un réel support pour un mode de travail et un accompagnement individualisé et ouvre un espace à l’initiative.

Paradoxalement il n’y a pas de misérabilisme et il m’est arrivé « d’oublier » le handicap de certains élèves qui ne sont pas définis par leur trouble mais bien par leur personnalité.

Je relèverai néanmoins le manque d’accompagnement des équipes éducatives qui y exercent puisqu’aucune formation (interne ou externe) n’est proposée aux AED.

La particularité de la cité scolaire de Villeurbanne est qu’une majorité des élève du LP ne sont pas déficients visuels. La mixité en est un atout.

Pour preuve, un repas dans le noir – pour sensibiliser les voyants à la déficience visuelle – a été organisé par des élèves de Seconde Gestion Administrative alors que je travaillais à l’EREA. Cette initiative fût une expérience incroyable que je recommande à tous les voyants et qui est plus parlante que tous les écrits que je pourrais diffuser (voir article).

Mon regard sur le handicap et l’enseignement adapté a évolué à travers la relation éducative tissée avec les jeunes de la cité scolaire.

2) La relation avec les familles est une dimension cruciale du métier de CPE. Vous avez suivi il y a quelques années une formation de médiatrice familiale. Quelles compétences avez-vous acquises dans ce cadre et qui sont transférables à l’exercice de votre métier d’aujourd’hui ?

DÉFINITION ADOPTÉE PAR LE CONSEIL NATIONAL CONSULTATIF DE LA MÉDIATION FAMILIALE (2002)

« La médiation familiale est un processus de construction ou de reconstruction du lien familial axé sur l’autonomie et la responsabilité des personnes concernées par des situations de rupture ou de séparation dans lequel un tiers impartial, indépendant, qualifié et sans pouvoir de décision – le médiateur familial – favorise, à travers l’organisation d’entretiens confidentiels, leur communication, la gestion de leur conflit dans le domaine familial entendu dans sa diversité et dans son évolution ».

La médiation est un pilier possible de la pratique du CPE. Les difficultés de communication entre la famille et l’établissement ou au sein même de la famille, cristallisent de la plupart des conflits qui se matérialisent à l’École.

Être un « tiers » qui fait circuler la parole sans jugement permet simplement à chacun de se faire entendre et se sentir écouté.

Si penser que cela est suffisant serait utopique, c’est néanmoins le cœur de notre beau métier.

Les incompréhensions et le manque de dialogue sont à l’origine de nombre de situations d’échec ou de décrochage scolaire.

Le simple fait d’apprendre à avoir une écoute active et de savoir reformuler est une aide précieuse dans la pratique. Cela permet, dans une certaine mesure, d’éviter les malentendus entre l’institution et les familles, dont les points de vue ont parfois tendance à diverger.

Cette formation m’a également permis de connaître les limites de mon rôle de CPE dans l’intervention de la sphère familiale, et d’apprendre à relayer aux professionnels du secteur lorsque la situation l’exige.

Envisager la profession sous le prisme de la médiation est une alternative dont la plupart des CPE se saisissent sans forcément la nommer. Notre posture singulière permet ce recours au dialogue en maintenant un positionnement de relative neutralité entre les acteurs.

J’ajouterais que si la médiation est un atout considérable dans la (re)-construction de liens avec les familles, c’est également un outil de communication incontournable au sein même des équipes de l’EPLE. Elle est nécessaire entre enseignants-élèves, équipes éducatives-Direction, CPE-AED…

Enfin la médiation entre élèves (médiation par les pairs) est une méthode qui a également fait ses preuves et dont devraient s’emparer plus d’établissements (en proposant une formation dans le cadre de FIL par exemple). Sensibiliser les jeunes dès le collège à la gestion des conflits par eux-mêmes  renforce l’autonomie, l’écoute et l’entraide, sources de la citoyenneté.

3) Durant votre année de stage, vous avez conduit une recherche sur le rapport à la loi dans l’établissement scolaire et à la pédagogie de la sanction. Considérez-vous que l’image du CPE en collège est encore très proche de celle du surveillant général ou voyez-vous une évolution positive dans les représentations des divers acteurs (enseignants, élèves, parents…) ?

Vaste question !

L’idée que les CPE ont de leur métier (ainsi que  le référentiel de compétences qui cadre notre profession) est aux antipodes de l’image de « surgé ».

Quant aux équipes,  leur représentation de la fonction dépend, à mon sens, d’une part du CPE en exercice (et de la conception qu’il a lui même de son métier) et d’autre part du type de collège dans lequel il « sévit »!

Les établissements sensibles sont plus souvent porteurs de projets innovants dans lesquels s’inscrivent (où sont à l’initiative) nombre de collègues CPE. Cette réalité ainsi que la relative « jeunesse » des personnels en fonction, permettent une évolution de l’image de « gendarme » à celle de  « conseiller d’éducation ».

Nous restons l’un des garants du cadre institutionnel (qui passe par le respect des règlements) et sommes partie prenante dans la sanction. Ce qui, selon la politique et le projet d’établissement, renforce ou non la redéfinition de notre rôle.

Je reste optimiste en considérant l’évolution même de la sanction : mesure de responsabilisations, réparation, portée éducative.

Cela tend  à mettre en exergue les valeurs d’accompagnement à l’éducation prônées par les CPE.

C’est pour cette même raison qu’il faut rester en lien et s’impliquer avec les familles, si possible, lors de moments clés (journées portes ouvertes, remise des bulletins, suivi de scolarité, création d’activités en partenariat…) en dehors de la punition et la sanction.

4) À la prochaine rentrée, vous serez affectée en Guyane à votre demande. Pouvez-vous nous dire ce qui est à l’origine de votre choix et en quoi il s’agit pour vous d’un défi professionnel ?

Arriver dans un établissement est en soi une découverte. Le faire en Amérique du Sud ajoute simplement des couleurs au voyage.

La Guyane est un département méconnu (vous seriez surpris par le nombre de métropolitains qui pensent que c’est une île !). La préservation du tourisme de masse est un gage d’authenticité et de préservation des cultures présentes sur ce territoire.

J’aspire à découvrir une autre perception de mon métier. Ouvrir mon champ d’expérience et m’enrichir dans la diversité culturelle et professionnelle. La construction de son identité passe aussi par une ouverture à l’autre.

D’autre part, j’ai eu l’occasion de suivre des formations en métropole qui ne sont pas forcément accessibles dans les DOM, et j’espère, à ce titre, pouvoir apporter ma contribution dans la création et la mise en œuvre de projets.

J’ai conscience qu’il est parfois compliqué de s’expatrier et une que cela suppose une certaine humilité envers sa terre d’accueil.

Un nouvel environnement, des saveurs et des représentations différentes permettent une mise en hauteur nécessaire à ma pratique. Il est indispensable de ne pas s’ancrer dans une routine professionnelle et s’obliger à prendre du recul pour rester efficient. Un départ outre mer n’est pas l’unique ressource à disposition, bien évidemment, mais c’est un défi humain et professionnelle que j’ai hâte de relever!