Accompagner, jusqu’où ?

Nathalie Liotard est enseignante en Coordination pédagogique, ingénierie de formation (CPIF). Elle exerce  dans l’académie de Lille sur la Mission de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS). Nathalie intervient sur des actions de remobilisation et des actions de qualifications de niveau IV, sur le bassin d’éducation et de formation de Béthune Bray la Buissière. Deux autres collègues CPIF, soit 3 ETP (emploi temps plein) au total œuvrent à lutter contre le décrochage scolaire sur un bassin qui compte 24 collèges, 10 SEGPA, 7 LP et 7 LGT. 

Peux tu nous préciser en quoi consiste ton activité professionnelle ?

Mon activité professionnelle répond à une mission de l’Ecole : « garantir l’égalité des chances »  pour que chaque élève en construisant son avenir professionnel devienne un acteur au sein de la société  et donc un citoyen épanoui. Notre mission est donc de prévenir le décrochage scolaire mais aussi d’y remédier en favorisant le retour en formation afin que l’élève décrocheur accède à une qualification. Cette activité professionnelle, cette mission, s’inscrit également dans un contexte européen (Stratégie Europe 2020). Enfin, la France s’est fixée comme objectif le retour en formation en 2013/2014 de 20 000 jeunes ayant abandonné la scolarité sans atteindre un niveau de qualification de type CAP au minimum. Afin de répondre aux objectifs, La Mission de Lutte contre le Décrochage Scolaire (MLDS) s’articule autour de deux objectifs principaux :

  • Prévenir les sorties prématurées du système scolaire en anticipant les causes,
  • Garantir à tous les élèves un plus large accès à un niveau de qualification reconnu.

La MLDS accueille toute l’année les jeunes en rupture scolaire pour les remobiliser et préparer ou conforter les bases de l’accès à l’entrée en formation qualifiante. Elle coordonne et gère ces sorties au niveau académique et décide des structures à mettre en place dans les établissements avec leur collaboration. Différentes actions de formation sont proposées allant de la remobilisation avec une découverte des métiers et un travail d’élaboration de projet professionnel à des repréparation aux examens (du cap au bac). Cette mission est transversale car elle concerne l’ensemble des acteurs de la communauté scolaire. La réalisation de ces deux objectifs suppose une logique de projet en établissant un diagnostic des besoins identifiés selon la méthodologie de l’ingénierie de formation et de la coordination pédagogique. Les actions sont cofinancées en partie par l’Europe dans le cadre du Fonds Social Européen. Enfin, notre activité professionnelle est déclinée dans le référentiel d’activités  des personnels titulaires du CAPES ou PLP dans la spécialité « Coordination Pédagogique et Ingénierie de Formation » (arrêté du 27/04/2001).

Quelle type de formation exige-t-elle ?

Je  suis entrée à l’Education Nationale en septembre 1999 avec un DESS (master) Ingénierie des Ressources Humaines des Institutions Educatives. Avec  une maîtrise du système éducatif français et des notions de ceux de nos voisins européens ; un cadre de réflexion complété par une méthodologie de projet, furent de bonnes bases solides pour démarrer dans le métier. Ce master est, entre autres, dispensé à Lille 3, académie où j’exerce, sous l’intitulé : « MASTER sciences et métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation Encadrement, conseil et orientation en éducation Ressources Humaines dans les Institutions éducatives ».

Selon toi l’accompagnement des élèves décrocheurs requiert il des compétences spécifiques ?

Il est essentiel d’établir un diagnostic de situation pour pouvoir l’analyser et en dégager les besoins en l’articulant aux objectifs nationaux et européens. Il s’agit d’anticiper et de concevoir ; puis viennent le conseil, l’impulsion, la coordination, l’animation, la communication et l’évaluation.

Accompagner de jeunes décrocheurs, nécessite de posséder des connaissances et des compétences en psychologie de l’adolescent ainsi que sur les pratiques d’entretien. En effet, être dans une  posture injonctive, de commentaires, de jugement nuit à l’approche réflexive dont le jeune a besoin pour se projeter et faire des choix.

C’est aussi consolider une dynamique d’insertion en instaurant et en confortant un réseau partenarial pour créer des « alliances pédagogiques » Les fonctions du Coordonnateur MLDS peuvent se décliner en quatre catégories :

  • Ingénierie de Formation,
  • Coordination Pédagogique,
  • Enseignement des Techniques de Recherche d’Emploi (TRE),
  • Accompagnement individualisé, personnalisé.

Il est à noter que la part administrative et financière (projet/budget) liée aux exigences de l’Europe dans le cadre de sa contribution financière, s’accroît à chaque rentrée.

En quoi l’accompagnement est ou n’est pas un acte pédagogique ?

C’est une notion qui intervient dans de nombreux domaines : médical, social, éducatif, enseignement… J’entends, dans l’accompagnement, la notion d’aide. C’est aider à prendre conscience, à procéder à un changement. Ce processus passe par une connaissance de soi, de ses potentialités. C’est par ailleurs mettre du sens sur une situation, dans ce cas précis le décrochage scolaire. C’est également analyser et lever les freins. L’accompagnement comprend aussi la notion de guidance. C’est favoriser l’action de faire un ou des choix possibles, prendre une direction, celle d’un parcours scolaire réussi. Ce cheminement se réalise grâce à la prise de conscience de l’existence de compétences en matière de savoir, de savoir-faire et de savoir-être. C’est enfin rendre autonome l’élève, acteur dans l’élaboration de son projet professionnel. L’accompagnement est un acte pédagogique qui est d’ailleurs une pratique reconnue dans l’Education Nationale :

  • L’accompagnement éducatif dans les écoles de l’éducation prioritaire avec l’aide personnalisée et les stages de remises à niveau pour les CM1 et CM2
  • L’accompagnement personnalisé de la sixième à la terminale générale, technologique et professionnelle.
  • L’accompagnement éducatif
  • le Programme personnalisé de réussite éducative (PPRE)…

Cet acte pédagogique répond à la lutte contre le décrochage scolaire.

Propos recueillis par Christine Savantré

Le temps de l’accompagnement

La démarche d’accompagnement n’est pas nouvelle.

Depuis les années 80, beaucoup de dispositifs se déclarent relever de celle ci : counselling, coaching, mentoring…

Ces pratiques coexistent avec le tutorat, le conseil, le parrainage, la guidance, le soutien, la supervision….

Que ce soient l’accompagnement de projet, l’accompagnement au travail d’équipe, l’accompagnement social ou l’accompagnement des élèves, ces pratiques sont souvent mises en place lors de bouleversements, de changements.  Crises économiques (précarisation, chômage), organisation de travail, difficultés de l’école face aux difficultés des élèves incitent à la création de dispositifs de médiation. En fonction des lieux et des champs d’exercice, les formes d’accompagnement relèvent toutes d’un fond commun : une forte base relationnelle, dans laquelle la fonction de l’un est de faciliter l’apprentissage et de mieux présumer pour l’autre, l’univers des possibles à venir. Aider en quelque sorte le sujet, à construire des liens qu’il ne saurait établir spontanément seul.

Qu’en est-il de l’accompagnement de l’élève ?

Élève en tant que personne au singulier. L’individualisation des parcours sous-tend d’une part,  un engagement renforcé et opéré en proximité et d’autre part une co-responsabilisation des deux parties pour favoriser l’entrée dans les apprentissages. L’accompagnement est complexe. Il demande du temps. Or, la difficulté,  est l’articulation des temps collectifs programmés, (ceux de la classe), et celui du temps individuel, avec un temps plus long, c’est-à-dire, celui du développement, de l’épanouissement, du devenir. Pour cela, l’accompagnant doit faire preuve de compétences d’écoute, d’aide à l’explicitation et à la prise de décision « Celui qui accompagne occupe une position particulière, où les problèmes de l’altérité se présentent aigus, exigeants et incontournables » (M.Cifali*). Or, l’enseignant, trop souvent livré à lui-même, aurait lui aussi besoin de se sentir… accompagné, soutenu et conseillé dans sa démarche.

Christine Savantré

 

*Historienne, docteur en sciences de l’éducation, psychanalyste, elle enseigne les dimensions intersubjectives de l’acte professionnel
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