CPE… en passant par A jusqu’à Z

« CPE… ça consiste en quoi au juste ?»

Quinze ans de métier et toujours cette difficulté à expliquer mon travail aussi bien à d’autres professionnels, à des amis, à la famille, à mes enfants. Et la réponse est constamment horriblement réductrice.
Alors par quoi je commence ? J’ai combien de temps ? On va au plus rapide et au plus compréhensible par tous : les absences, les punitions, les permanences, les surveillants, mais du coup je ne parle pas des projets, de la course contre le temps et du coup j,ai cette frustration constante de ne pas avoir su parler de moi, de ce qui fait mon quotidien, donc le sentiment d’avoir complètement raté un oral.
En même temps, la question est presque un sujet de philosophie, non ?

« Qu’est-ce-qu’« Être CPE » ?

Et comme si le sujet n’était pas assez flou, le CPE est associé à un autre concept tout aussi flou « la vie scolaire ». Mais au moins il y a le mot « vie » et là j’ai un début de réponse à mon sujet de philosophie : le CPE est la personne qui s’occupe de tout ce qui touche à la vie des élèves dans l’établissement. C’est joliment dit mais je ne suis pas sûre d’expliciter mon quotidien.

Je vais essayer avec le sigle. On pourrait croire qu’il n’y a pas de quoi philosopher et pourtant : les universitaires et chercheurs voient (naturellement ?) dans le P de CPE de la… pédagogie​. Dans un article du Centre Alain Savary de septembre 2017 on lit qu’une « conseillère pédagogique d’éducation (CPE) » est membre d’une équipe en projet.

Je choisis la facilité et je vais vers le consensus : CPE = Conseiller Principal d’Education.

Oui mais en quoi ce sigle reflète-t-il mon activité, mes activités au quotidien ? Ma principale activité n’est pas de conseiller et du coup cela me gêne parce que j’ai le sentiment d’usurper une identité qui n’est pas la mienne. Et puis, si on confronte le prescrit au réel, il apparaît que :

  1.  Pour être… un conseiller, il faut être… consulté. Or, dans bien des situations (sanctions posées…) le CPE ne l’est pas pour différentes raisons (temps, organisation…).
  2. Pour être… force de propositions, il faut être reconnue dans sa professionnalité. Cela suppose en amont que l’expertise du CPE soit admise : si on se sait écouté, on est plus enclin à proposer ses idées (avec bien sûr l’assurance de ne pas en être dépossédé).

Par ailleurs, le principal conseiller du chef d’établissement varie en fonction de la problématique d’un élève : s’il est question d’une pathologie, le principal conseiller devient l’infirmier ; s’il est question de précarité, le principal conseiller devient l’assistant social. Et ce n’est pas que du médical ou du social c’est aussi de l’éducatif.

CPE : Le sigle serait donc trompeur ?

Ah les élèves ont finalement raison, il y a toujours des pièges dans un sujet de philo !

Mais j’ai été prévenue : c’est à moi qu’il revient de construire mon identité de CPE.

Donc, pour ma rédaction, inutile de rechercher sur internet les missions du CPE. Je construis moi-même : pas uniquement avec trois lettres : le C le P et le E.

Je vais prendre les vingt-six lettres de l’alphabet et je rends ma copie :

La/le CPE est ce Professionnel qui se veut au Quotidien Bienveillant avec les Elèves et leurs Familles. Soucieux de l’Inclusion de Tous, il veille Habilement au bien-être de chacun afin qu’aucun.e de ces futur·e·s Grand·e·s Citoyen·nes- (Y compris ces Wistitis qui s’amusent à faire les Zigotos) –Jamais ne Décroche des Apprentissages et que tous et toutes Réussissent. Ultra Vigilant, il tire le Klaxon dès que Nécessaire. En tout cas, c’est certain, ce n’est pas une Madame Ou un Monsieur X !

Et malgré tout l’alphabet, j’imagine ce que serait l’appréciation sur ma copie :
« Vous n’avez traité qu’une TOUTE PETITE partie du sujet ! »

Hanène Stambouli, C.P.E de l’académie de Créteil

CPE et doctorant, Edmond nous raconte…

Quel est le sujet de votre thèse et sous quelle direction écrivez-vous ?

J’étudie l’identité professionnelle des Conseillers Principaux d’Education sous la direction de Patrick Rayou (Professeur émérite en sciences de l’éducation, Université Paris 8) au laboratoire Circefet-Escol. J’analyse le processus de professionnalisation des CPE à travers leurs activités afin d’identifier et de comprendre leurs logiques d’engagement, dans l’objectif d’engendrer une théorie enracinée. Ce qui m’intéresse ce sont les grammaires ou les rhétoriques que véhiculent les CPE.

Pourquoi avoir choisi ce sujet ? En quoi est-il pertinent ?

Ce choix, avant tout, permet d’observer le CPE, comme une figure marginale du monde de l’enseignement. Au sens où, il incarne à lui seul la préoccupation éducative du système scolaire français, tout en se trouvant bien souvent défini par la négation des autres : métier flou, sale boulot. La perspective adoptée permet d’aller voir l’arrière-cour du groupe social formé par les CPE sous un prisme non déterministe. Autrement dit, comprendre les jeux et enjeux qu’ils déploient et développent afin de faire tenir leur fonction leur permettant de s’inscrire dans une démarche professionnalisante.

Quelle est votre méthodologie ?

La recherche qualitative menée, sollicite un modèle d’analyse inspiré de la clinique des activités pour restituer du « pouvoir d’agir » par la « transformation des situations de travail ». À l’aide d’interrogations portant sur le genre et le style (Clot et Faïta, 2000), elle ne vise pas à poser un regard d’expertise. Elle s’appuie sur trois types de matériaux recueillis auprès de CPE : des entretiens semi-directifs, des agendas et une enquête monographique d’un an dans un lycée. Tout ceci, complété par le travail de confrontation d’un collectif de CPE formé de neuf membres, réalise un dispositif d’intervention conçu pour élaborer « un modèle compréhensif » (Wittorski, 2010) de la dynamique de professionnalisation des CPE par l’expérience professionnelle. Il s’agit concrètement d’identifier et de comprendre ce qu’ils font quand ils travaillent, pour révéler les logiques d’engagements qui sont en jeu dans leurs activités réelles.

Quels sont les observables les plus récurrents ? Et que traduisent t-ils ?

Le collectif : le groupe de CPE présente des phénomènes d’économie (négociations) comme dans tout groupe social. C’est en étudiant les mouvements de ces négociations que l’on peut identifier les logiques d’actions.
Les CPE, fragilisés par leur statut peu connu, leurs missions très peu définies (malgré l’affichage institutionnel) ainsi qu’un mode d’association qui ne les rend pas visible ni lisible s’emparent des miroirs (ici le chercheur) qui leur sont tendus pour trouver une voie d’accès à un processus de professionnalisation qui leur permettrait de construire leur identité professionnelle. Ceci traduit la difficulté rencontrée par une profession qui ne sait pas trouver une voie propre pour construire une identité.

En quoi votre thèse permet-elle d’actualiser le regard porté sur le métier de CPE. Autrement dit, apporte-t-elle de nouvelles perspectives ?

Mes réflexions proposent de penser le CPE comme un acteur singulier des collèges et lycées et non comme un élément exogène dont la légitimité peut être sans cesse remis en cause ; tant sur le champ éducatif que sur le champ pédagogique. Je pose dans cette perspective un regard qui consiste à voir le CPE comme un professionnel doté de savoirs et de savoirs faire propres qui lui permettent d’être le metteur en scène de la Vie scolaire.

Edmond Houkpatin, CPE dans l’académie de Créteil

Le CPE et le développement du sentiment de justice en milieu scolaire

Qu’est-ce que la justice en milieu scolaire ?

La justice en milieu scolaire comprend l’ensemble des situations au travers desquelles un ou des membres de la communauté scolaire vont vivre ou faire vivre à autrui un sentiment de justice ou d’injustice¹. Il est nécessaire de bien comprendre qu’elle dépasse très largement la simple question des sanctions et punitions.
Cette question des punitions, au sens large, peut-être dénommée, elle, sous le vocable plus restreint de « justice scolaire » et ne recouvre donc pas totalement les mêmes domaines.
Enfin afin d’éviter les confusions, Il faut garder en tête que l’appellation de « justice », ici, ne doit en rien être prise dans le sens légal de « judiciaire ». La progressive pénétration du droit commun dans les règlements et circulaires peut parfois générer des malentendus.
La justice en milieu scolaire relève autant d’une éthique professionnelle que d’une réglementation.
La notion de « justice en milieu scolaire » se situe à chaque instant et chaque endroit de la vie de l’élève (en premier lieu là où il, elle, passe le plus de temps c’est-à-dire en classe).

Comment le CPE peut participer à développer ce sentiment de justice ou, a minima, réduire celui d’injustice ?

En théorie, tous les collègues doivent, selon les prescriptions institutionnelles², s’emparer de cette question de justice en milieu scolaire dans le cadre de sa participation à l’instauration du meilleur climat scolaire possible.
Par sa formation, le CPE est un des membres de la communauté éducative le mieux placé pour faire entendre que le sentiment d’injustice ressenti par les élèves est un des principaux facteurs dégradant le climat scolaire d’un établissement.
Il n’est plus nécessaire de souligner la corrélation entre ce climat et la réussite scolaire, indépendamment des facteurs socio-économiques initiaux. Il n’est plus nécessaire, non plus, de souligner les liens entre un climat positif et les différentes formes d’incivisme connues dans les établissements qui font la violence en milieu scolaire³.
Toutefois un certain nombre d’obstacles contribuent à freiner la mise en place des pratiques efficientes en ce domaine.
C’est bien en premier lieu la charge de travail qui ne permet pas toujours d’adopter une démarche réflexive suffisante. De même que la force des habitudes, l’attente de certaines familles voire l’attente des élèves eux-mêmes…

Quels sont donc les leviers à la disposition des CPE ?

Le premier des leviers sur lequel peut jouer le CPE est, bien sûr, le projet de vie scolaire. S’il a ses limites, il est aussi ce qui va lui permettre de fédérer l’équipe éducative autour de ces thématiques.
Au moins à la prérentrée, le CPE peut exposer ce projet, définir cette forme de « justice », amener les collègues à repérer les situations multiples où elle se manifeste.
Citons, par exemple, les sanctions diffuses (encouragements ou dévalorisations de l’élève) mais aussi l’évaluation ou l’attitude des adultes… C’est aussi l’occasion de souligner les bénéfices communs (enseignants/enseignés) qui surviennent dès lors que tous travaillent dans cette direction.
Un second levier est l’application pleine et entière des textes officiels, la modération dans les usages des sanctions les plus sévères, la lutte contre l’impunité, la vérification de la légalité des procédures dont les interprétations peuvent parfois laisser place au doute.
Ou encore la mise en place de dispositifs variés, la désormais célèbre médiation par les pairs, le travail autour de la communication non violente voire, certainement plus efficacement, l’introduction de l’acquisition des compétences psycho-sociales en la plaçant dans l’emploi du temps des élèves au même titre que toute autre discipline.

En quoi le développement de ces dispositifs ou l’instauration d’heures dédiées aux compétences psycho-sociales jouent sur le sentiment de justice ressenti par les élèves ?

Ce sont différentes manières de poursuivre la prise en compte réelle de la parole de l’élève. Cette écoute effective joue un rôle primordial pour favoriser le sentiment de justice. Les élèves ressentent souvent (notamment dans l’éducation prioritaire) que leur parole, aux conseils de classe par exemple, est écoutée sans être entendue. Certains dispositifs, l’évaluation par contrat de confiance pour n’en citer qu’un, les rendent mieux acteurs de leur scolarité.
Le respect et surtout l’explicitation des textes (aux parents comme aux élèves) qui régissent le droit à l’école permettent la transmission de grandes valeurs dont celle de justice. Les valeurs se transmettent par des paroles, par des actes mais aussi par des institutions explicites, précises. Les « institutions parlent » dit Jean-Pierre Obin.
Enfin la prise en compte par l’ensemble de la communauté éducative de ces différents aspects de la justice en milieu scolaire contribue à la construction d’un climat globalement positif dans l’établissement et dépasse donc le cadre du seul « bien-être » qui reste essentiellement individuel.

Gautier Scheifler
Collège d’éducation prioritaire de Clichy-sous-Bois
Académie de Créteil

 

 

 

  1. Pour une justice en milieu scolaire préventive et restaurative dans les collèges et lycée, MMCPLMS, 2013
  2.  Circulaire n° 2015-139 du 10-8-201
  3. Debarbieux, E., Anton, N. , Astor, R.A., Benbenishty, R., Bisson-Vaivre, C., Cohen, J., Giordan, A., Hugonnier, B., Neulat, N., Ortega Ruiz, R., Saltet, J., Veltcheff, C., Vrand, R. (2012). Le « Climat scolaire » : définition, effets et conditions d’amélioration. Rapport au Comité scientifique de la Direction de l’enseignement scolaire, Ministère de l’éducation nationale. MEN-DGESCO/Observatoire International de la Violence à l’École. 25 pages.
  4. Moignard B., Le collège fantôme. Une mesure de l’exclusion temporaire des collégiens, Diversité,n°175,
  5. Évaluer par contrat de confiance. Quels effets sur les acquis des élèves ?
  6. En particulier dans le cadre de la justice scolaire la circulaire n° 2014-059 du 27-5-2014
  7. Liberté, égalité, fraternité, laïcité, justice sociale : comment transmettre les valeurs de la République ?