Dans le premier degré,  revoir la relation à l’institution est une urgence

 

Selon notre enquête « 800 000 enseignants et moi, et moi, et moi ? », le malaise des enseignants du premier degré dans leur relation à l’institution est flagrant. L’école maternelle et l’école primaire ont été tout particulièrement l’objet des réformes brutales lors du quinquennat précédent. Au-delà des réformes elles-mêmes, le nombre d’élèves arrivant au collège avec des acquis trop faibles a été pointé publiquement. Cela semble avoir conduit les professeurs des écoles à se sentir professionnellement en difficultés. La réaffirmation de la confiance institutionnelle à l’égard des enseignants du premier degré doit être une priorité.

Les écarts entre les enseignants du 1er degré et ceux du 2nd degré quant à leur relation à la hiérarchie interpellent également. Les enseignants qui côtoient leur supérieur au quotidien (le chef d’établissement dans le second degré) se sentent bien plus entendus et soutenus que ceux  qui ne le rencontrent que plus rarement (les inspecteurs de l’éducation nationale).  La question de la proximité de l’encadrement est posée.

 

Enseignants du premier degré Enseignants du second degré
Ma hiérarchie valorise mon métier 16% 36%
Ma hiérarchie reconnait mes contraintes professionnelles 19% 40%
Je suis soutenu par ma hiérarchie 37% 61%
Je peux faire entendre mon avis par la hiérarchie 31% 64%
Je suis en accord avec ce que l’institution me demande de faire 44% 54%
Je réussis à faire ce que l’institution me demande 65% 71%
Je juge mon travail satisfaisant 80% 80%
Je passe beaucoup de temps dans mon école/mon établissement 95% 93%
Je réussis facilement à concilier vie personnelle et vie professionnelle 63% 70%

 

 

Une autre évaluation, c’est possible !

Comment les enseignants sont-ils évalués en Europe ?

La quasi-totalité des pays européens pratiquent l’inspection des enseignants à titre individuel ou collectif. De très nombreux pays, dont la France, restent attachés à ce qu’elle soit conduite par «un corps de spécialistes externes à l’établissement». Selon les systèmes, les inspecteurs dépendent des autorités nationales (France) ou régionales (Allemagne, Espagne…).

Autre modalité, l’évaluation de l’enseignant peut être menée en interne par le chef d’établissement. Cette évaluation interne peut venir en complément de l’inspection mais elle est parfois la seule modalité d’évaluation existante (Pays-Bas).

Depuis le milieu des années 90, quelques pays pratiquent l’auto-évaluation des établissements. Là encore, cette évaluation peut exister seule ou en complément d’autres modalités. Elle se pratique le plus souvent en lien ou sous le contrôle d’une autorité externe.

Les années 2000 ont vu se développer de nouvelles formes d’évaluations essentiellement fondées sur les résultats. Au Royaume-Uni par exemple, il s’agit de mesurer l’écart entre un référentiel et les performances de l’école. En Estonie, en Suède ou en Écosse, les résultats des élèves aux évaluations standardisées nationales deviennent de plus en plus un critère de jugement de la performance de l’école et donc de l’équipe pédagogique. Il en est de même pour les résultats aux examens. Continue reading

Interview de Patrice Lemoine

Patrice Lemoine est Inspecteur d’académie-Ipr «établissements et vie scolaire» dans l’académie de Strasbourg.
Il est membre du Conseil national de l’innovation et de la réussite éducative.
Il commence sa carrière comme instituteur en 1981 puis se consacre à l’éducation prioritaire comme coordonnateur de Zep, chargé de mission académique, puis Ien.

À quoi sert d’évaluer les enseignants ?

Patrice Lemoine : La logique voudrait que chacun de nous réalise son travail dans le cadre donné par son employeur mais soit autonome dans l’appréciation de sa propre valeur. Ce serait une sorte d’autonomie accomplie. On voudrait tous en être capables. Mais nous n’y arrivons pas tout seuls. Nous sommes ainsi faits.

Nous avons tous besoin, non seulement de la reconnaissance de notre environnement professionnel (direction, collègues, parents d’élèves…), mais aussi de points de vue extérieurs pour apprécier notre propre activité, son impact, sa valeur ; et pour la réguler. Ce sont des données humaines, et non pas simplement des obligations professionnelles ; c’est sans doute la raison pour laquelle ce sujet est si sensible. L’évaluation ne peut atteindre ses objectifs que si la façon de faire prend en compte cette dimension humaine.

Aujourd’hui, l’évaluation des enseignants parvient-elle à remplir son rôle ?

P. L. : Sous un angle strictement institutionnel, il faut répondre que oui : les différentes opérations de gestion liées à l’évaluation du personnel sont réalisées et les contentieux sont peu nombreux. Sous l’angle de l’amélioration qualitative des pratiques, les ressentis exprimés aussi bien par les enseignants que par les différents évaluateurs, montrent que les marges de progrès sont grandes. Nous avons besoin, tous, de confiance. L’idée d’une École bienveillante ne concerne pas que les élèves, c’est un système.

Mais ce système ne progressera que si d’une part, les enseignants sont reconnus comme des experts de leur propre profession, donc comme des professionnels, sans aucun bémol et que d’autre part, les enseignants se reconnaissent eux-mêmes comme des professionnels, ce qui implique la recherche constante de l’efficience dans une approche scientifique, au même titre que les médecins ou les ingénieurs. Continue reading