Frédéric Davignon, professeur d’anglais en internat, a raconté sur son excellent blog « J’adore mon job » comment il a changé de regard à propos des devoirs et ce qu’il a mis en place pour accompagner ses élèves dans leur travail personnel. Il nous a semblé que ces réflexions éclairent bien le sujet de notre dossier « Les devoirs, une question professionnelle » et c’est avec son autorisation que nous republions ici ces 2 billets :
J’adore… l’aide aux devoirs (publié le 3 décembre 2011 sur le blog « J’adore mon job »)
Et je suis même fan de la chose.
Il y a plus d’un an et demi, j’ai découvert l’aide aux devoirs. Un peu par hasard, il est vrai. Au départ, je faisais déjà des heures supplémentaires, j’avais beaucoup de trajets, donc en faire plus et finir encore plus tard, non merci.
Et puis un jour, j’ai eu l’occasion d’en faire. Et j’ai découvert à quel point cela, si bien mené, avec les moyens nécessaires, pouvait être utile à l’élève et à sa réussite.
Comme beaucoup de professeurs, je ne me suis que peu intéressé à la partie non visible mais essentielle de l’élève: l’élève en dehors du cours, face à ses devoirs. J’ai tenté d’ignorer ce que nous savons pour la plupart tous: faute de temps, de lieu adapté parfois, faute de soutien à la maison disponible pour diverses raisons, une grande partie des élèves des établissements que j’ai fréquentés, ne font pas leurs devoirs, tout simplement. Ils ne travaillent que pour les évaluations, et encore. J’ai tenté d’ignorer que les élèves n’avaient pas les méthodes pour apprendre, même si on en parlait parfois en classe, que c’est au moment de travailler qu’il faut être là avec eux. J’ai tenté d’ignorer que l’école publique républicaine que j’aime tant et à laquelle je suis si attaché, celle qui fait réussir tout le monde, y compris les plus fragiles, les plus pauvres et qui les aide à grimper l’échelle sociale ou tout simplement à atteindre leur plein potentiel, ne le fait finalement que très mal. Je faisais mon job, en classe, avec enthousiasme, essayant de leur faire aimer la matière, après à eux de faire le leur chez eux, apprendre, comprendre.
Sauf que ça ne marche pas.
Apprendre, ce n’est pas un jeu d’enfant.
Apprendre, comprendre, ce n’est pas la chose simple et rapide que je pensais que c’était.
Et c’est lors de l’aide aux devoirs que je l’ai découvert. J’ai découvert à quel point je pouvais être vraiment utile là aussi. Rien qu’en étant là. En donnant des conseils pour mémoriser, et aider à répéter et réciter une leçon, et travaillant l’accent (bah oui, enfin, si vu en classe le mot était su et mémorisé et bien prononcé…). J’ai découvert à quel point cela changeait mes relations aux élèves, y compris ceux avec qui il y avait des tensions en classe. J’ai découvert à quel point ils appréciaient qu’on les aide, même si certains n’étant là que contraints et forcés car inscrits par les parents. Ne serait-ce qu’un instant, être là et les aider. J’ai découvert aussi le temps qu’il faut à certains élèves pour apprendre et mémoriser. J’ai découvert à quel point cela était synonyme de travail dur. J’ai découvert qu’en fait moi, j’étais à l’époque un bon élève et que je ne savais pas du tout ce qu’être un élève moyen ou en difficulté voulait dire. J’ai découvert que je pensais que tous les élèves étaient comme moi, moi élève… Et je n’en suis pas fier de cette découverte.
Je suis pleinement leur professeur depuis l’aide aux devoirs, à mon sens. Je les accompagne sur tout le processus, suivant les besoins, en classe mais aussi après, quand ils apprennent et travaillent.
Alors oui, il y a sans doute à améliorer là dedans, il faudrait pérenniser les moyens, faire que ça ne soit pas encore en plus dans l’emploi du temps des professeurs mais dedans mais il faut vraiment que l’aide aux devoirs demeure dans l’école.
J’ai la chance que cela soit inclus dans mon emploi du temps et dans celui des élèves (internes). En échange, je reste souvent tard, jusqu’à 19h, pour les aider. Mais je me sens utile. Et ils progressent.
Ca ne donne pas une solution à tout, mais on avance dans le bon sens.
Donc oui, j’adore l’aide aux devoirs. Les élèves aussi !
J’adore…réussir ma rentrée (ou l’aide aux devoirs) (Publié le 1er novembre 2014 sur le blog « J’adore mon job »)
Les prochains billets vont vous parler de ma rentrée. Tout n’a pas été rose, mais c’est une des (la ?) plus belles et plus intéressantes que j’ai vécues, j’ai beaucoup à partager.
Mon établissement est un internat. Les élèves ont donc du temps pour travailler dans l’établissement puisqu’ils ne le font pas chez eux.
Plutôt que de mettre ce temps de façon classique de 5 à 6 voire 7, le parti-pris a toujours été de l’intégrer à l’emploi du temps, qui du coup s’élargit au-delà de 5h de l’après-midi.
Cette année, notre Proviseur a décidé d’intégrer une demi-heure de « travail », permanence, étude dirigée – peu importe le nom – à l’horaire de certaines matières dont la mienne, l’anglais.
Je me retrouve donc avec mes 3h classiques, plus une demi-heure. J’ai concrètement 2 fois une heure, et une fois une heure et demie. L’engagement pris par les enseignants était d’utiliser au moins une demi-heure de ces 3h30 pour faire de « l’aide aux devoirs ». J’ai choisi pour ma part de diviser cet horaire en 2, 45 minutes de cours, 45 minutes « autres ».
Au départ, cela m’inquiétait un peu d’avoir une heure trente. Est-ce que cela n’allait pas être trop long ? Nos élèves en difficulté allaient-ils adhérer ?
J’ai choisi de faire cours sur la première partie, et d’accompagner leur apprentissage du cours (en anglais, il faut pratiquer, mais aussi apprendre). Tout le monde doit apprendre, puis chacun utilise le temps comme il le souhaite : pour pratiquer, pour finir quelque chose, recopier un cours manquant, lire en anglais, écouter des ressources, créer des ressources, créer des fiches mémos. Les élèves ont d’emblée adhéré. J’ai pu travailler avec eux sur ce que ça veut dire « d’apprendre son cours ». J’ai donné diverses méthodes pour mémoriser. Certains, les plus petits, ont beaucoup aimé aussi venir me réciter ce qui était à apprendre, ou me montrer leur cahier.
En seconde, après une première interrogation de cours, une élève m’a dit : « Mais en fait, c’est facile d’apprendre ! Ca marche votre truc ! Pendant des années, je m’y suis mal prise ! » Cet aveu m’a beaucoup touché, et en même temps énormément chagriné. N’avons-nous là pas raté l’essentiel si une élève de 2nde découvre seulement cette année-là comment apprendre ? L’arrivée dans le projet de socle commun d’une section là-dessus me fait très plaisir, je dois dire.
Mes petits 6e, mais aussi les 4e ont bien peu d’idées sur ce que veut dire apprendre un cours, et surtout comment on fait. Ils pensent aussi qu’ils sont « nuls », pas adaptés à l’école et ont une très médiocre image d’eux-mêmes. S’ils n’arrivent pas à apprendre alors que d’autres savent faire, c’est forcément que quelque chose ne va pas chez eux. Ce sont bien souvent des élèves qui pour diverses raisons ne sont pas aidés à la maison. On touche là pour moi un point essentiel. En donnant des devoirs à la maison, des exercices, on favorise certains élèves : ceux qui réussissent déjà à l’école, ceux qui peuvent être aidés par leurs parents, et on laisse de côté ceux qui n’y arrivent pas et pour qui on devrait être là. Ceux-là mêmes pour qui l’école telle que je la conçois doit être là.
Attention, je ne dis pas que les élèves ne doivent rien faire en dehors du cours. Mais à mon sens ce qui est donné en dehors du cours doit être très réfléchi et ne doit pas placer les élèves dans une situation qui amène de l’inégalité et qui les met en difficulté si personne n’est là pour les aider.
La classe inversée m’a aussi beaucoup apporté, je donne à faire hors du cours des choses simples, regarder une vidéo portant sur un point dont ils auront besoin, quelque chose à lire, puis on fait le point en classe et on utilise ces connaissances pour pratiquer la règle. Je donne à faire quelque chose qui aidera l’élève pendant le cours, qui lui permettra d’avancer. Parfois, mes 45 minutes servent aussi à cela pour ceux qui ne peuvent pas le faire hors de la classe (pas d’accès à Internet par exemple). Mais je reviendrai dans un autre billet sur la classe inversée.
Je perdrai sans doute un jour cette demi-heure en plus, mais je pense que je militerai alors pour 2 créneaux de 1h30 durant lesquels j’aiderais les élèves à faire le travail que l’on donne à faire normalement « à la maison ».
On a donc beaucoup travaillé sur comment apprendre et quoi. Qu’est-ce que ça veut dire savoir un cours ? Savoir un mot, c’est savoir ce qu’il veut dire, savoir le dire, savoir l’écrire ? Les 3 ? Ah bon, Monsieur ? Les évaluations orale ou écrites de cours sont vécues différemment depuis aussi. Ce moment commun de « travail » est devenu un vrai moment de plaisir. On fait cours, et après on apprend. Est-ce que je perds du temps? Je ne crois pas. Et puis cela pacifie énormément le déroulement du cours. Les élèves savent que je serai là, pour aider, pour expliquer à nouveau, pour clarifier, même après le cours classique. Bref, que je serai leur professeur. Pleinement.