Céline ne donne pas de « devoirs » mais propose des activités

Tout d’abord peux-tu te présenter en quelques mots ainsi que ton contexte de travail ?

J’ai commencé ma carrière en 2002. Je suis depuis 7 ans directrice d’une école de 6 classes en région parisienne et j’enseigne en classe de cycle 3. Le public est dit « socialement mixte », la grande majorité des parents travaille, souvent jusque tard le soir.

Concrètement que donnes-tu en devoirs à tes élèves ? (type, quantité, fréquence, organisation…)

Je ne donne à mes élèves aucun devoir : quel mot péjoratif, je trouve… un devoir, après 8h voire 11h de collectivité dont 6h d’apprentissage… dans ce cadre, ce mot s’apparente à corvée, non ?
En revanche je leur propose des activités, celles-ci pouvant se faire sur le temps de classe (sur les 15 premières et 15 dernières minutes de la journée).
Proposer est un terme choisi : si les activités ne sont pas faites, les élèves savent que je ne les blâmerais pas.
Je leur exprime mon souhait en début d’année :
– lire tous les jours 20 minutes, le choix du support étant libre : roman, album, bande-dessinée, etc. Je les aide si besoin dans le choix, je leur prête les livres s’ils n’ont pas la possibilité d’aller à la médiathèque, etc.
– je leur propose aussi une liste de sites et/ou d’applications gratuites via notre Espace Numérique de Travail permettant de travailler en calcul mental de manière ludique.
– régulièrement, ils relisent les leçons apprises en classe, et peuvent visionner les capsules vidéos associées.

Quels moyens mets-tu en œuvre pour que ces devoirs soient faisables par tous ? Comment gères-tu ceux qui ne les font pas ?

Ces activités sont accessibles à tous : il serait paradoxal pour moi de différencier ma pédagogie sur le temps scolaire et de proposer à tous la même chose alors que je ne suis plus aux côtés des élèves pour les aider. La différenciation en lecture se fait en variant le support, et les différents jeux de calcul mental prennent en compte les progrès de l’élève pour les faire évoluer à leur rythme.

Si tous, dans un premier temps, ne font pas les activités, le moment de mise en commun les y incite : nous prenons 5 minutes le matin pour partager nos progrès, notre avancée dans l’intrigue du livre en cours, ou notre avis sur la capsule vue la veille au soir. C’est ce temps qui est aussi formateur, si ce n’est plus, que celui de l’activité.

Comment présentes-tu cela à tes élèves ? À leurs parents ?

Je ne rencontre aucune difficulté à partager cette vision avec les élèves, c’est en revanche beaucoup plus délicat avec les parents : ne pas donner de devoir est un acte de résistance ! J’expose mon fonctionnement lors de ma réunion de rentrée en tentant de convaincre les irréductibles mais je ne me fais pas trop d’illusions : certains investissent sans doute dans de célèbres cahiers de révisions quotidiennes… peu importe, je propose aux parents qui voient les devoirs comme un « moment de partage » (déjà entendu !) de profiter de ces 15 ou 30 minutes gagnées pour faire un jeu de société en famille. Autant dire, s’il fallait le préciser, que peu de mes élèves ont eu la chance de jouer en famille…
Pour beaucoup les devoirs sont synonymes d’efficacité et de réussite en classe. Une enseignante ne donnant pas de devoir est vue comme laxiste, peu exigeante voire cataloguée « mauvaise maitresse ».

Quels effets observes-tu sur les élèves (et éventuellement sur les parents) dans ta façon de gérer les devoirs ?

Le rythme scolaire est perpétuellement source de débat. En l’occurrence ma gestion des devoirs fait que l’élève retrouve après l’école un temps à la maison calme et sans tension. Il se réapproprie ses loisirs sans avoir la contrainte d’un travail attendu par l’enseignante pour le lendemain.
Les devoirs sont devenus le lien entre l’école et les familles. Ce lien ne peut-il donc pas se créer autrement ?
En début d’année j’invite tous les parents qui le souhaitent à passer avec nous 1h, 2h voire une demi-journée pour ceux qui le peuvent. Depuis 4 ans que je propose cela, environ 1 ou 2 familles/an seulement sont venues en classe, et ce n’est malheureusement pas mes irréductibles qui estiment que « je couve trop les élèves ».

Tes collègues font-ils comme toi ? Quel est leur regard sur ta façon de faire ?

Il a fallu plusieurs années pour que la quantité de devoirs des collègues diminuent. Nous n’avons pas la même manière de fonctionner. Des pratiques perdurent , et pour certaines collègues, l’association « devoirs = maîtresse sérieuse » est tout aussi ancrée que pour certaines familles.

Comment ta vision des devoirs à la maison a-t-elle évoluée au cours de ta carrière ?

Au début de ma carrière, je reproduisais ce que j’avais pu voir lors de mes stages. Je donnais à mes élèves quelques opérations, de la lecture avec questionnaire à l’appui, voire (« halte-là, malheureuse ! » ) un exercice de grammaire.
Puis, comme tout le monde, je me suis construite en tant qu’enseignante, je fais évoluer mes pratiques.
Le plus difficile est d’assumer ce choix vis-à-vis des parents.

Qu’est-ce-que tu souhaiterais encore améliorer dans ton dispositif ?

Je me nourris des échanges de pratiques et des témoignages de collègues, il me reste énormément à apprendre, rien n’est figé !

Qu’est-ce-que tu conseillerais à un jeune collègue débutant pour aborder cette question ?

Ne pas confondre « devoirs à la maison » et apprentissages, c’est la clé !

Céline Martinage, École Pablo Picasso à St Michel sur orge

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