Les programmes actuels ont déjà le projet ambitieux de contribuer à construire le « futur citoyen actif dans la cité ». Les finalités affichées dans les textes introductifs aux programmes témoignent de la volonté de la République de transmettre des valeurs qui fondent le vivre ensemble et tout un patrimoine culturel constitutif d’une identité partagée. Il n’est pas question de les renier, mais de réfléchir au hiatus grandissant entre cet idéal d’excellence et la réalité de l’École de la République sur le terrain. Il y a urgence désormais à se donner les moyens de cet idéal.
Deux raisons majeures pour placer la question des savoirs au cœur du futur projet pour une École du XXIe siècle :
Vivre au XXIème siècle, dans un monde globalisé, où sciences et technologies évoluent très rapidement*, suppose l’accès à des savoirs plus complexes : il ne s’agit plus seulement d’additionner des savoirs de base (lire, écrire, compter, se repérer dans le temps et l’espace), mais d’accéder à la « pensée complexe » inlassablement décrite dans toute l’œuvre d’Edgar Morin.
Penser l’École aujourd’hui, c’est aussi avoir présent à l’esprit que nos enfants entrant aujourd’hui au CP, auront 20 ans en 2027 ! Que sera-t-il pertinent d’avoir comme « bagage » (au sens noble du terme) dans ce monde futur ? Les connaissances sont rapidement obsolètes dans certains secteurs. Des disciplines, aujourd’hui situées hors du champ de la scolarité obligatoire, apparaissent (ou apparaîtront vite) comme indispensables. Il faudra bien faire des choix dans la masse devenue exponentielle des savoirs amassés par l’Humanité comme devant être « transmis » ?
Les savoirs enseignés et les outils intellectuels indispensables pour les appréhender sont donc à repenser de fond en comble et doivent faire l’objet d’une réflexion collective. Ces questions doivent être au cœur d’un débat de la société toute entière, dépassant les clivages partisans. Non, il ne doit pas y avoir un « discours de gauche sur les savoirs », mais la volonté partagée de « régénérer une culture humaniste laïque » permettant « d’armer intellectuellement les adolescents pour affronter le XXIème siècle » (Morin, 1998).
Il ne s’agit pas ici d’un discours incantatoire, mais de choses que nous vivons les uns et les autres (et nos enfants) au quotidien. Dans le monde actuel, un citoyen voulant comprendre son environnement, y agir en conscience et de manière responsable, est confronté à des savoirs plus complexes que par le passé. Les débats sur le réchauffement planétaire, les modèles de développement durable, les questions éthiques posées par les progrès de la médecine, la pertinence de telle ou telle technologie face à des choix écologiques, les problèmes posés par l’économie et la finance, les problématiques institutionnelles ou administratives, les questions de droit … autant de questions qui intéressent le citoyen mais nécessitent des outils intellectuels et des connaissances plus élaborés que par le passé. Nous ne sommes plus dans une conception additive de la connaissance, où il suffirait, à partir de savoirs de « base », d’accumuler jusqu’à l’encyclopédisme. D’ailleurs, ceux qui revendiquent une telle position (dans les débats contre les pédagogues en particulier), oublient – tellement ils ont intégré culturellement ces processus culturels – qu’ils manipulent des compétences de l’ordre d’un méta-savoir, un savoir sur le savoir qui leur permet sans problème de faire des liens, d’abstraire, de penser en surplomb ce qu’ils disent n’être simplement que des savoirs faciles à engranger. Si aujourd’hui, les choses étaient si simples, cela se saurait. Continue reading