Pas de devoirs en lycée pro, Marie Anne nous explique son choix

Enseignante en économie gestion en lycée professionnel au Lycée des Métiers Jean Caillaud à Ruelle sur Touvre depuis 10 ans, j’ai débuté ma carrière (14 ans à ce jour) en MFR (Maisons Familiales et Rurales) puis suis passée par un centre de formation des apprentis. J’ai aussi enseigné l’anglais en collège pendant deux ans avant de choisir d’enseigner l’économie gestion.

Je n’ai jamais donné de devoirs à la maison à mes élèves, qu’il s’agisse des apprentis, des collégiens ou bien maintenant de mes lycéens. Ne pas donner de devoirs à mes apprentis me semblait une évidence car leur semaine de travail est déjà assez chargée. Même si leur temps de formation est moins conséquent qu’en lycée, je ne voyais pas vraiment comment ils auraient pu s’organiser pour travailler en plus à la maison !

Quand j’ai commencé à enseigner en collège, je n’ai pas non plus voulu donner de devoirs à la maison. Surprenant peut-être ! En fait, j’ai le souvenir ému du premier professeur pendant ma scolarité qui nous avait dit : « vous n’aurez pas de devoir à la maison ! » Non seulement ça avait été une énorme surprise mais en plus une vraie libération ! Je suis la première bachelière de ma famille. Faire les devoirs à la maison relevait parfois du cauchemar car il n’était pas facile de trouver quelqu’un pour m’aider. Dans certaines matières, je sentais un peu la détresse de mes parents qui ne savaient comment m’aider, n’en avaient d’ailleurs pas toujours le temps ou bien exprimaient le regret de ne pas avoir pu poursuivre des études car, à l’époque… (un certificat d’études pour mon père et un apprentissage de couturière pour ma mère). Cela m’a-t-il marqué au point que je me dise qu’il y avait quelque chose d’un peu injuste dans le fait de donner des devoirs à la maison ? Très certainement !

Au-delà de cette injustice (qui peut aider l’enfant, l’adolescent quand il a des devoirs parfois un peu complexes à faire ?), il me semble que nos adolescents ont des semaines chargées. J’enseigne dans un lycée avec une population défavorisée. Il n’est pas rare qu’à la sortie des cours, les premières préoccupations soient d’aller chercher petits frères ou sœurs, de faire les courses, d’aider à la maison, etc. et qu’à tout ceci s’ajoute le fait de gérer le manque d’espace dans la maison ou l’appartement familial. Dans ces conditions et compte tenu du fait que nos lycéens en voie professionnelle cumulent parfois jusqu’à 32 heures de cours par semaine (grand choc quand ils débutent en seconde), il est, pour moi, impensable de leur rajouter une charge de travail.

Qui plus est, j’ai en face de moi des élèves qui arrivent avec un sentiment d’échec (le discours : « tu ne travailles pas assez, tu n’as pas assez de capacités… donc tu iras en lycée professionnel » a la vie dure). De ce fait, mon premier travail est de leur redonner confiance mais aussi de leur redonner de l’envie, du goût, du plaisir même à aller à l’école ! Cela ne passe certainement pas par un travail à la maison, souvent peu ludique, voire rébarbatif, mais plutôt par des activités en classe qui leur redonneront confiance en eux et les valoriseront.

Alors effectivement, je suis souvent pour ne pas dire toujours en porte-à-faux avec de nombreux collègues pour ne pas dire tous !

Mais qu’il m’est pénible de voir sur un bulletin : « la moyenne est mauvaise car plusieurs devoirs maison n’ont pas été remis » ou encore pire : « zéro car devoir non rendu » ! Mais le problème des appréciations sur le bulletin est aussi un vaste et autre sujet ! Pour moi, ce genre de comportement relève de la double peine ! Le jeune a un devoir à faire à la maison, ce qui, bien sûr, ne l’enchante guère dès le départ (je le comprends !) mais en plus il se voit attribuer un beau zéro en guise de notation pour un trimestre voire un semestre ! Concrètement, j’ai du mal à voir le bénéfice !

J’avoue m’être battue un peu au début pour tenter de faire comprendre à des collègues que je trouvais ça particulièrement injuste. Mais j’ai honte d’avouer que j’ai baissé les bras au nom de la sacro-sainte liberté pédagogique ! En même temps, je peux aussi comprendre que, pour certains collègues qui ont une heure seulement par semaine les élèves, il n’est pas toujours évident de gérer un programme, des évaluations en classe et donc très certainement existe-t-il une quasi obligation d’avoir recours aux devoirs à la maison. Mais, à ce moment-là, pourquoi ne pas essayer d’y apporter un peu plus de souplesse ou du moins un peu plus de « fun » ?

Il existe maintenant des solutions plus « sympathiques » pour évaluer non ? J’utilise plutôt Plickers par exemple pour une petite évaluation ponctuelle plutôt que de leur donner quelque chose à la maison.

Depuis presque deux ans, je me suis lancée dans l’aventure de la classe inversée, ce qui sous-entend de travailler un peu à la maison. Mais, comme le dit si justement Marcel Lebrun (notre référence à tous) il existe plusieurs classes inversées !

Me lancer dans la classe inversée remettait donc en cause tout ce que j’avais mis en place depuis que j’enseigne puisque pour moi c’était zéro travail à la maison. Mais la réaction de mes élèves a été absolument géniale et très encourageante ! En effet, le travail en amont dans ma classe inversée consiste à visionner une capsule puis à répondre à un quiz réalisé sur Google form. Ce qui, au pire, leur prendra une dizaine de minutes (3 à 5 minutes pour visualiser la capsule, 3 à 5 minutes pour répondre au quiz). Mais là encore, pas d’obligation de faire ça à la maison (puisque tout le monde ne dispose pas de moyen d’accès à Internet chez lui) et donc on peut prendre 10 minutes en début de cours pour que tout le monde en soit au même point. En fait, les élèves trouvent ça plus sympathique à faire qu’un devoir maison « classique » et ont vite pris le pli de visionner la capsule et de compléter le quiz. C’est même moi qui avais plus de réticence qu’eux au début. Ce à quoi, l’un d’entre eux a répondu : « mais Madame, vous rigolez, 10 minutes, on peut quand même faire ça pour vous ! ». Mais c’est surtout qu’ils peuvent le faire avec leur smartphone, avec leur tablette, dans le bus, à la maison, dans la cour… Il y a un côté « pratique » à ce type de devoirs à faire à la maison. Mais non ! Rien que le nom « devoirs » me gêne toujours autant ! On crée l’obligation alors que moi je recherche le fait que le travail à faire se fasse par choix. C’est aussi cela que m’apporte la classe inversée.

Donc, si je devais démarrer ma carrière aujourd’hui, j’essaierais d’abord de voir ce qui se fait, ce que le numérique peut m’apporter comme avantage. Je testerais, je tenterais mais surtout, surtout, je ferais en fonction du ressenti de mes élèves et de l’envie que je décèlerais chez eux.

Car, oui, cette année, et pour la première fois depuis que j’enseigne en lycée professionnel, j’ai eu une petite Laurine, élève de seconde, qui me demandait et me redemandait du travail. Heureusement, elle avait accès à des missions que j’avais préparées dans le cadre de ma classe inversée en économie droit. Elle a réalisé beaucoup plus de missions que la plupart de ses camarades de classe mais en tout cas, elle les a réalisées parce qu’elle en avait envie et que cela lui faisait plaisir. Après, la question de la notation se pose mais en l’occurrence j’ai valorisé son travail.

Donc concrètement, le travail en dehors de la classe, cela passe par une véritable envie de l’élève et aussi une possibilité de le valoriser plutôt que de le rabaisser. Cela reste ma ligne de conduite et ce que j’ai envie d’améliorer encore et encore : voir mes élèves arriver avec de l’envie en cours d’économie gestion et pas avec la peur au ventre parce que les devoirs maison n’ont pas pu être faits. Enfin, tel est mon sentiment mais compte tenu du retour que je peux observer chez mes élèves, je pense être dans le vrai !

Marie Anne Dupuis, Professeur Economie Gestion, Académie de Poitiers

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