Contrairement aux idées reçues, les enseignants jonglent difficilement entre vie personnelle et vie professionnelle. À votre avis, pourquoi ?
Dominique Cau-Bareille : Pour trois raisons principales à mon avis.
L’intensification du travail qui touche les métiers de l’enseignement, sous la forme de changements de programmes fréquents, d’une multiplication des évaluations, d’un alourdissement des tâches administratives, d’injonctions de plus en plus pressantes pour monter des projets, participe à alourdir l’activité hors présentiel des enseignants. De fait, le travail personnel qui se fait généralement au domicile prend de plus en plus de place, contaminant les soirées, les week-ends, plus globalement l’esprit des enseignants ; la sphère privée étant la variable d’ajustement pour réguler les contraintes professionnelles.
Pour les enseignants qui le souhaiteraient, les conditions de travail dans les établissements permettent rarement de pouvoir faire des préparations sur place : les salles de travail sont souvent partagées, le nombre d’ordinateurs pour travailler n’est pas suffisamment important, l’isolement n’est pas possible, les documents et matériels pour préparer les cours ne sont pas disponibles. Les professeurs n’ont d’autres choix que de travailler à la maison, dans un environnement où ils ont également à tenir d’autres rôles sociaux : celui de parents, de responsable d’association… Dans ces conditions, le travail au domicile s’en trouve morcelé, dispatché à différents moments de la journée ou de la soirée.
Cette liberté de pouvoir travailler chez soi a comme revers une perméabilité des sphères de vie extrêmement importante qui permet difficilement de mettre des frontières entre la vie personnelle et le travail, des témoignages de collègues attestent très souvent de cette difficulté. En témoigne cette enseignante : « Je crois qu’une grosse difficulté du métier enseignant, que j’ai ressentie tout au long de ma carrière, et qui ressort au travers de discussion avec des collègues, c’est qu’on a l’impression de n’avoir jamais fini, c’est-à-dire que je suis chez moi, si je suis toute seule pour regarder un film, quasiment je ne peux pas parce que je vais toujours me dire « Ah oui mais demain j’ai ça à faire », je vais aller vérifier dans mon cartable ! Donc c’est difficile de se dire « je m’arrête à 19h » ; disons que je quitte mon bureau à 19h mais il y a toujours en arrière-plan la journée de demain, donc l’impression que l’on n’a jamais terminé. Moi, j’ai toujours apprécié de faire mon travail en grande partie chez moi parce que ça permet de s’organiser, éventuellement si l’on a à faire quelque chose dans l’après-midi, on s’arrange, on le fait à un autre moment ; mais en même temps, il y a toujours derrière la journée de demain soit parce qu’avec un élève ça ne s’est pas bien passé et on se dit « comment je vais faire demain pour rattraper le coup ! » ou pour…. C’est sans doute vrai dans d’autres professions mais ça c’est quelque chose qu’en tant que prof, je ressens beaucoup. C’est cette préoccupation permanente du travail et qui peut être fatigante, usante ». (F, 56, clg). Continue reading