Laurent Fillion est prof d’histoire géographie EMC en collège dans le Pas de Calais, il pratique l’évaluation sans notes et encadre une mini entreprise dans le cadre de la DP3 puis des EPI.
Il co-anime le site de partage de tâches complexes « Les tacos de Thucydide » et tient le blog « Peut mieux faire« . Adhérent au CRAP – Cahiers Pédagogiques il a coordonné plusieurs numéros “ et le livre “Éduquer à la citoyenneté : construire des compétences sociales et civiques”. Il est également coauteur des manuels lelivrescolaire.
La question des devoirs est elle une problématique professionnelle importante pour vous ? Pourquoi ?
Oui et non.
- Oui parce que donner des devoirs reste une pratique largement répandue et c’est donc difficile de ne pas s’y intéresser.
- Oui parce que ces devoirs à la maison créent de profondes inégalités entre les élèves et créent aussi assez souvent (et on a tendance à l’oublier) des tensions entre les élèves et les parents.
- Non parce que la problématique essentielle à mes yeux est celle du travail personnel des élèves qui ne se cantonne pas aux seuls devoirs à la maison, bien au contraire.
Quelles réponses apportez-vous aux questions qu’elle suscite ?
Limiter le travail à la maison à la mémorisation des leçons, aux exercices d’application et à quelques recherches complémentaires.
Votre regard sur les devoirs a-t-il évolué au cours de votre carrière ?
Oui. Quand on débute, on est formaté à ce qui nous paraît être des incontournables du métier. Donner des devoirs, comme mettre des notes et des moyennes, en fait partie. Dans mes premières années d’enseignement, j’ai donc donné des exercices de préparation aux leçons comme je l’avais connu moi-même en temps qu’élève et comme on me l’avait appris à l’IUFM.
Assez vite, je me suis aperçu de l’inutilité voire la nocivité de ces devoirs pour plusieurs raisons :
- certains élèves ne les faisaient pas ou mal et étaient donc grandement pénalisés
- la perte de temps pour vérifier voire corriger
- et surtout l’activité essentielle de l’apprentissage était renvoyée à la maison sans l’accompagnement du professeur.
J’ai donc décidé assez vite que ces exercices d’apprentissage seraient faits en classe, avec mon aide et avec une différenciation bien plus facile à mettre en oeuvre que quand on les externalise.
Ce qui était devoir est devenu travail personnel, réalisé en classe, avec mon aide, en cooppérant, parfois différencié, parfois intégré à un plan de travail.
Ce temps ainsi dégagé à la maison, les élèves peuvent le consacrer à la mémorisation, à des exercices d’entraînements, d’application. (qui peuvent d’ailleurs être effectués ou commencés aussi dans la classe)
Le nouveau ministre a fait des annonces sur le dispositif « Devoirs faits ». Quelle mise en œuvre vous paraîtrait la plus pertinente dans votre établissement ?
Il faudrait réunir plusieurs conditions pour que cette mesure qui vise juste ne fasse pas au final pire que mieux :
- ne pas nécessairement placer ces heures en fin de journée
- placer ces heures dans l’emploi du temps de la classe et les rendre obligatoires à tous. Si c’est aux professeurs de désigner les élèves, ils risquent de prendre cela comme une sanction et rendre la mesure contre productive. Si c’est sur la base du volontariat ( cela semble être le choix retenu par le ministre) les élèves présents risquent de ne pas être ceux qui en ont le plus besoin (ce qui au final continuer à creuser les inégalités). De plus, on risque alors de faire reposer la faute de l’échec sur les seuls élèves dans des discours du type « et il ne va même pas aux heures devoirs faits ».
- penser au cadre : comment permettre les travaux de groupe, les échanges entre élèves …
- veiller à ce que ce dispositif ne traduise pas par une inflation du nombre des devoirs et une diminution des travaux personnels réalisés en classe. Ce serait vraiment dommage au regard des progrès réalisés ces derniers temps dans ce domaine, notamment dans le cadre de l’AP.
- et surtout être accompagnée d’une véritable réflexion sur le bien fondé et la nature des devoirs