« Je m’appelle F. et je suis enseignante spécialisée au sein d’un Rased à Mayotte. Il est 6h et je suis déjà en route pour me rendre dans une école à 7 km de chez moi, car à Mayotte, la circulation est très problématique le matin et le trajet ne me prendra pas moins de 50 minutes, s’il n’y a pas de travaux !
L’école commence à 7h et finit à 12H15. À Mayotte, 24% des salles de classe fonctionnent par rotations. Quand il n’y a pas assez de salles de classes pour le nombre de divisions dans une école, l’école fonctionne alors en rotation: 7h-12h15, 12h30-17h45. Selon les écoles, certaines classes ne « rotent pas », ce sont souvent les CP. Les rotations peuvent s’effectuer toutes les semaines, tous les 15 jours ou par période, il faut donc partager sa salle de classe avec un autre enseignant.
6h55, je traverse lentement le village pour éviter les gouffres qui jalonnent la route, salue les familles qui emmènent les enfants à l’école. La pluie ne va pas tarder et la chaleur est déjà étouffante.
Bonjour à toute l’équipe : 11 enseignants travaillent ce matin et autant travailleront cet après-midi. À Mayotte, plus de 50% des écoles ont huit classes voire davantage (20% en métropole). 17 écoles ont plus de 500 élèves et 3 plus de 700. Et dire qu’il manque plus de 500 salles de classe !
Je vais chercher S. dans sa classe, je travaille avec elle chaque semaine. Elle m’accueille avec le sourire : les enfants sont contents de travailler en petit groupe, ils appartiennent souvent à de grandes fratries et les mamans ont peu de temps à leur consacrer. Aujourd’hui, elle a pu se rendre à l’école ce qui n’est pas toujours possible par temps de pluie : les bangas sont construits dans les pentes qui deviennent si boueuses qu’ils ne peuvent alors plus se déplacer. Parfois, les pluies ont inondé l’habitation et les vêtements sont trempés.
Je travaille toute la matinée dans cette école. Une petite salle a été aménagée pour accueillir le personnel itinérant : maîtres de Clin (il y a un nombre important d’élèves allophones nouvellement arrivés), maîtres + (ils travaillent essentiellement sur la langue française)*, enseignants spécialisés du Rased. Il nous a fallu organiser notre emploi du temps les uns en fonction des autres, puisqu’une seule salle est disponible et ici, il y en a une ce qui n’est pas toujours le cas.
La chaleur est étouffante: pas de ventilateurs dans les salles, ni de clim bien évidemment. Cet après-midi, il deviendra insupportable d’enseigner par cette chaleur, sous les tôles, et certains élèves s’endormiront.
9h : c’est l’heure de la collation. À Mayotte, les apprentissages sont d’autant plus difficiles que nombre d’enfants arrivent le ventre vide à l’école. Certes, une collation payante est proposée aux élèves et d’autres achètent des friandises aux « mamas » qui en vendent devant les grilles des écoles mais ces encas sont souvent gras et sucrés. Le personnel de santé redoute une augmentation très significative des cas de diabète dans l’avenir. Les enfants de familles pauvres ne mangent pas et restent 5h30 le ventre vide ce qui n’aide ni à la concentration ni à l’investissement scolaire.
Pendant la récréation, un maître contractuel parle de ses difficultés à enseigner et de son manque de formation. Un autre est à la recherche de paires de ciseaux : le matériel manque cruellement dans les classes. Parfois, les écoles sont cambriolées et se retrouvent démunies. La conversation s’oriente vers les rythmes scolaires qui ne concerneront pas cette école puisqu’elle est en rotation. Mais les questionnements sont là ; se pose le souci du repas de midi car il n’y a pas de cantine à Mayotte. Se pose aussi la question de l’école coranique, quand aura-t-elle lieu et l’enfant ne risque-t-il pas de vivre alors une journée très fatigante, loin des objectifs recherchés par cette organisation scolaire ?
Les enfants livrés à eux-mêmes pendant la journée reviendront-ils à l’école l’après-midi ?
Le directeur, lui, est en discussion téléphonique avec la mairie car une fois de plus, la fosse septique déborde. Les écoles sont souvent très délabrées : il n’est pas rare de voir les fosses septiques déborder, ou de ne plus avoir d’eau dans les toilettes. Les locaux peuvent être sales, peu entretenus. Peu d’écoles respectent les normes de sécurité. Les cours d’école ne sont pas équipées.
La matinée s’achève par une rencontre avec une maman. Les familles rencontrent des difficultés dans la compréhension des parcours scolaires, et manquent de repères dans le système scolaire. Très souvent, les mères s’occupent seules de l’éducation de leurs enfants. Les fratries sont nombreuses, les mères sont dépassées, démunies et ne sont pas en mesure d’aider leurs enfants scolairement. La maman me remercie de m’occuper de son enfant, c’est touchant.
La matinée s’achève. Demain, je travaillerai le matin et l’après midi. Ainsi se succèdent les journées du lundi au vendredi, mercredi compris. »
*Beaucoup d’enfants ne parlent pas le français, ils ne fréquentent d’ailleurs cette langue qu’à l’école. Aucun enseignement de leur langue ne les aide à en comprendre la structure ce qui ne les aide pas non plus à comprendre celle du français. Le niveau scolaire est très faible, les effectifs des classes sont chargés.
Crédit photo : mwanasimba