Pourquoi replonger dans ses racines et en faire un livre ? Harry CPE témoigne…

Trente ans après l’avoir quittée, Théodore Harry Boutrin CPE, retrouve et redécouvre sa Martinique, dans le cadre d’un congé bonifié. Cette immersion, dans un environnement évocateur, l’inonde d’émotions, de tendresses, et de surprises… Il raconte cette expérience unique dans un livre et a accepté de répondre à nos questions.

Qu’est ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?

Au départ, je voulais juste écrire une lettre à mes enfants pour répondre à leurs questions sur mes origines, et en plus de satisfaire leur curiosité, leur transmettre quelque chose d’utile.

Lorsque j’ai pu établir un lien clair entre le congé bonifié, l’intensité des souvenirs et la construction identitaire, alors le récit destiné à mes enfants est devenu progressivement un cheminement vers la construction d’un tapuscrit.

Et puis, j’ai trouvé là l’occasion, de dire à ceux qui pensent que le congé bonifié n’est qu’une histoire de vacances sous les tropiques, que c’est bien plus que cela.

L’écriture m’a également offert un formidable terrain de réflexion et d’expression pour rendre hommage à des personnes qui ont compté et qui comptent dans ma vie, en particulier ma mère et ma grand-mère, des femmes courageuses, obstinées, aux forces décuplées, pour donner à leurs enfants une vie plus honorable.

Que représente pour vous le retour sur votre terre natale ?

C’est ma madeleine de Proust, ces saveurs que l’on ne trouve nulle part ailleurs, cette singularité des Martiniquais que j’avais oubliée, dans leur rapport aux autres, leur abnégation à toujours positiver. C’est une redécouverte enrichissante et instructive qui me procure des énergies positives afin de poursuivre ma vie. C’est cela pour moi se ressourcer.

En Martinique, parce que je suis dans cet environnement évocateur, les souvenirs m’inondent et me procurent une palette d’émotions intenses, riches d’enseignements, car elles m’invitent à leur donner un sens.

C’est ce qui fonde tout l’intérêt de se rendre sur sa terre natale, le passé redevient présent comme pour l’éclairer.

Cette expérience très intime n’est pas spécifique à ma condition d’Ultra-marin, je suis convaincu qu’elle est universelle.

Pourquoi avoir voulu partager votre histoire ?

La rendre accessible à d’autres lecteurs que ceux de ma famille n’était pas une chose évidente. Se dévoiler publiquement implique une prise de risques à laquelle je ne suis pas habitué. Mais le désir, de partager, de questionner d’autres sur la relation qui est la leur avec leurs origines, l’a emporté.

J’espère, avec mon livre, contribuer à préserver une mémoire familiale, et bien au-delà, car je décris des lieux, des événements, une époque qui sont évocateurs pour une communauté plus large que la sphère de mes proches.

Vous parlez d’identité, comment caractérisez-vous la vôtre ?

On devrait à mon sens parler d’identités (au pluriel), car les domaines où elle s’exerce sont nombreux.

Au sens intime, c’est-à-dire le regard que l’on porte sur soi, je vois l’identité, comme la conscience des caractéristiques intrinsèques qui fondent sa singularité, sa personnalité, pour le dire simplement une façon très personnelle de se représenter et d’exprimer la vie, dans des domaines divers, par exemple le langage, les arts, le rapport aux autres, à l’espace et au temps et le cadre professionnel.

Mais elle est perméable à la pression sociale dans la mesure où cette identité peut être influencée par la société qui classe les individus selon des attributs catégoriels (sexe, couleur, origine géographique…), impliquant des positions sociales et des comportements attendus. L’identité est donc une unité originale, en interaction avec une dynamique sociétale.

Édouard Glissant exprime fort bien cette idée dans son livre « tout monde » par la phrase « je peux changer en échangeant avec l’autre sans me perdre pour autant ni me dénaturer ».

En ce qui me concerne, sur le plan linguistique par exemple, mon identité se caractérise souvent par l’usage du créole qui bien plus qu’un moyen de communication, exprime une origine, une façon singulière d’incarner la vie, qui produit des représentations très personnelles et des interactions bien spécifiques.

Pour citer d’autres domaines, j’évoquerai l’art culinaire. Lorsque je mange un plat antillais, je mets en bouche en petit bout de territoire avec lequel j’ai une histoire. Le goût est une saveur évocatrice, que je cherche à provoquer.

J’ajouterai le rapport au temps. Lorsque je suis arrivé en métropole, j’avais l’impression que le temps passait plus vite, et j’étais parfois perçu comme quelqu’un qui était lent. Mais en réalité, j’avais appris à prendre mon temps c’était une des caractéristiques de mon identité. Je me suis adapté, mais je ne pense pas l’avoir totalement perdue.

Il y a d’autres domaines, mais j’en terminerai par l’identité professionnelle en référence à une citation de Marie-Pezé, psychologue clinicienne : « travailler c’est apporter quelque chose de soi ». D’ailleurs la formation initiale des CPE vise à les accompagner vers la construction d’une identité professionnelle. Cela signifie l’acquisition de savoirs et le développement progressif de compétences transposables avec un certain niveau de maîtrise dans un environnement complexe.

L’identité, à mon sens, c’est donc s’approprier à notre façon ce que l’on veut, mais sans être certain de plaire.

La question de l’identité est prégnante dans mon métier (CPE), car je rencontre des jeunes venus de tous horizons et qui se questionnent sur leurs origines sans forcément l’exprimer clairement.

Pourriez-vous développer sur le lien avec les missions d’un CPE ?

L’éducation à la citoyenneté est un des axes principaux de ma mission de CPE.

La citoyenneté active va bien au-delà du respect des règles, car elle suppose l’idée d’engagement, de participation à la vie collective. Chacun a quelque chose de personnel à apporter pour enrichir la communauté. Cela peut être une idée, un peu de son temps pour élaborer un projet ou faire fonctionner une instance démocratique.

Mais je crois que l’engagement suppose deux choses importantes. Une volonté et l’estime de soi.

Il arrive que les élèves ne s’engagent pas non par manque d’estime d’eux-mêmes, mais parce que le sujet ne les intéresse pas, ils n’en voient pas l’utilité. Ce désengagement révèle donc une perte de sens. L’éducateur que je suis doit alors s’impliquer pour clarifier, expliquer et encourager.

Et puis il y a ceux qui ne s’engagent pas parce qu’ils sont réservés, et d’autres qui ont peur de s’exposer.

Je comprends cela, j’évoque d’ailleurs dans mon livre mes peurs, leurs origines et leurs conséquences. La peur est une réaction naturelle qui met en alerte face à un danger réel ou supposé. Elle est parfois irrationnelle et peut relever d’une construction, d’une croyance.

J’ai parfois remarqué que certains élèves qui ont peur de s’engager dans des choses simples comme une prise de parole en classe n’osent plus en raison d’un échec non surmonté. Une mauvaise réponse et un retour mal vécu, des moqueries de leurs camarades en raison de leur accent en anglais, ces petites situations où l’élève est ressorti avec un sentiment d’humiliation. C’est dévastateur sur le plan de la construction identitaire.

Pour surmonter cela, il faut bâtir une nouvelle expérience pour déconstruire l’ancienne vécue tel un échec dominateur et installé. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire.

Pour aider les élèves, comme mes collègues CPE, je travaille avec d’autres professionnels (psychologues de l’éducation nationale, sophrologues…) qui aident les jeunes à développer leur potentiel et faire de nouvelles expériences.

L’estime de soi est selon moi la base de tout engagement. C’est un éclairage sur soi, suffisamment valorisant pour oser. Il faut aider le jeune à en faire un élément clé de son identité.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour réaliser ce livre ?

D’abord me convaincre que c’était possible. Il m’a fallu beaucoup de temps et sans les encouragements et le soutien indéfectible de ma mère, de mon épouse et de Claude-Josse qui fut mon professeur de français il y a plus de 25 ans, je n’y serais pas arrivé. La réussite se construit aussi avec d’autres.

Certains souvenirs douloureux ont refait surface. Ils sont sortis telle la poussière sous le tapis accompagné d’émotions désagréables. Mais au final, ils m’ont apporté des enseignements enrichissants et libérateurs.

Et puis j’ai dû fournir un travail important dans un temps réduit, car j’ai une activité professionnelle et une vie de famille. Alors j’écrivais parfois la nuit ou tôt le matin, ce qui entrainait indubitablement des moments de fatigue durant la journée.

À certains moments j’ai manqué d’inspiration, sur une période plus ou moins longue. Certains passages ne me convenaient pas, J’ai dû les refaire de nombreuses fois. Cette abnégation m’a parfois renvoyé à nos élèves, ce que nous leur apprenons si souvent. Croire en eux et persévérer.

Enfin, qu’aimeriez-vous que l’on retienne de votre livre ?

Les préjugés peuvent être blessants. Il est bien plus enrichissant de considérer les différences comme une richesse que de les enfermer dans une spécificité catégorielle impliquant souvent une vision réductrice.

Un être humain, un citoyen c’est bien plus que la couleur de ses cheveux, ses yeux, sa peau, ses origines… Ce ne sont là que quelques indications sommaires.

J’aimerais que mon livre encourage celles et ceux qui hésitent à s’engager dans un travail d’écriture, en vue d’une publication ou pas, car cela vaut vraiment la peine de s’y consacrer, en dépit des difficultés. C’est à la fois libérateur et valorisant. En ce qui me concerne, j’étais très motivé à l’idée de transmettre à mes enfants un message qui me paraît important. L’identité, ce n’est ni le repli sur soi, ni le reniement de soi.

Il conjugue à mon sens citoyenneté et estime de soi.

Comment se procurer votre ouvrage ?

Dans toutes les librairies et sur internet. Pour en savoir plus, vous pouvez cliquer sur l’image ci-dessous.

Martinique : témoignages

«Ce n’est pas facile tous les jours… mais je reconnais tous les efforts fournis par le syndicat pour nous aider, notamment concernant la procédure d’indemnisation. »

Sabine LOUIS-CORALIE, enseignante non titulaire 2nd degré

  «Nous avons pu conserver des postes cette année dans notre établissement grâce à l’action syndicale. C’est une chance que je mettrai à profit pour valoriser la filière bois autour de projets innovants sur la construction parasismique. »

Jérémie BOISSON, PLP génie-industriel Bois

  «J’ai enseigné la LVR pendant 3 ans. Ce fut pour moi très enrichissant et j’ai pu constater que l’enseignement du créole avait tout autant sa place que celui du français dans nos programmes du primaire. Mais, il reste encore beaucoup à faire ! »

Nathalie SAINT-LOUIS-AUGUSTIN, co-enseignante du programme « PARLER »

Crédit photo : Salim Shadid

 

Martinique : du dynamisme dans un contexte morose

La Martinique est une académie de 74 877 élèves, 1er et 2nd degré confondus.

Plus de 8 680 adultes (dont 7 643 enseignants) se répartissent dans les 237 écoles et 66 EPLE publics.

La population scolaire représente ainsi 20% de la population totale de l’île.

Derrière ces chiffres, qui mettent en exergue le dynamisme de notre académie, se cache une toute autre réalité ; celle d’une Martinique qui vieillit ! Selon l’Insee, les personnes âgées de 60 ans et plus, estimées à 20% de la population en 2009, représenteront près de 40% en 2040. En outre, notre académie se singularise par l’ampleur du décrochage scolaire. Ainsi, on estime à 22% les jeunes de 20 à 24 ans non scolarisés qui n’ont pas obtenu de diplôme du second cycle de l’enseignement secondaire. Enfin, nous sommes confrontés à un taux de chômage très élevé, soit 21% de la population active, qui touche fortement les femmes et les jeunes de moins de 30 ans sans diplôme.

Ce contexte démographique et social assez morose devrait bien évidemment avoir un impact direct quant à la mise en œuvre, par les autorités rectorales, d’une politique éducative adaptée et de qualité. Or, depuis 10 ans, leur réponse implacable, unilatérale et indifférenciée à une problématique qui réclame pourtant une approche innovante, ambitieuse et spécifique, consiste à supprimer des postes, soit près de 800, pour répondre à des injonctions budgétaires ministérielles !

Le SE-Unsa sur le terrain

Notre combat consiste à trouver des solutions adaptées afin de pallier les effets négatifs de ces phénomènes.

C’est ainsi que nous avons réussi, après 3 ans d’efforts et de rapport de forceavec le rectorat et le ministère, à affecter sur les postes vacants les stagiaires et les néo-titulaires du 2nd degré qui le souhaitent, et freiner ainsi le départ de nos forces vives.

De même, nous avons lutté pour obtenir le maintien des petites écoles de quartier, pour agir lutter contre la désertification des services publics dans les campagnes et ses conséquences tant démographiques qu’économiques.

Nous plaidons également en faveur d’un « label qualité » de notre enseignement en promouvant une formation générale, et post-bac en particulier, assez diversifiée pour permettre à nos jeunes de poursuivre leurs études dans l’île.

Nous réfléchissons en ce moment avec les enseignants et directeurs de Segpa, (en y associant les PLC et PLP) à des propositions concrètes de mise en œuvre d’une politique spécifique de l’enseignement spécialisé adaptée et dénuée de toute connotation péjorative.

Notre syndicalisme est un syndicalisme de terrain, très actif et très au fait des réalités locales : une réelle force de propositions et d’actions.

Marlène LECEFEL, Secrétaire départementale du SE-Unsa

Crédit photo : Tach_RedGold&Green