Notre souci de la réussite pour tous et du bien-être à l’école, nous amène à envisager des évolutions dans nos pratiques professionnelles pour atteindre des objectifs certes ambitieux mais essentiels : construire un parcours de réussite pour chacun, renforcer durablement l’estime de soi et la motivation, conduire les élèves vers un niveau d’ambition plus soutenu.
Sous l’impulsion du chef d’établissement, Daniel Vienney, plus d’une vingtaine d’enseignants sont mobilisés pour modifier leurs pratiques professionnelles dans ce sens. Notre dispositif d’enseignement et d’évaluation par compétences en classe de 6ème voit alors le jour à la rentrée 2013. Il est coordonné par Sandrine Jouvenot, professeure de mathématiques.
Dans le contexte national, celui de l’école de la république, nous souhaitons faire évoluer les modalités d’évaluation et de notation des élèves :
– éviter la notation sanction et privilégier une évaluation positive qui valorise les réussites et les progrès
– une évaluation simple et lisible : objectifs clarifiés, accessibles et compréhensibles
– une évaluation qui mesure les acquisition mais aussi les progrès de l’élève
Dans le contexte professionnel, guidé par le référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation, nous souhaitons faire évoluer les objectifs d’évaluation dans le sens d’une évaluation des progrès.
L’entrée en vigueur du nouveau Socle Commun de Connaissances, de Compétences et de Culture et des nouveaux programmes donnent une toute nouvelle impulsion au travail par compétences. Ils nécessitent de faire évoluer nos pratiques tant dans la formation que dans l’évaluation de nos élèves.
Il est donc nécessaire de développer des outils de repérage, de mesure des progrès et des degrés d’acquisition pour analyser et accompagner nos élèves tout au long de leur parcours d’apprentissage.
Ces outils doivent prendre sens chez les élèves et qu’ils se les approprient dans la but de comprendre les principes de l’évaluation et de l’auto-évaluation.
Ces outils doivent également aider à la communication des résultats, des progrès et des acquisitions aux élèves et aux familles.
Dans le contexte de notre établissement, nous avons ciblé trois axes qui ont créés le besoin de faire évoluer l’évaluation :
– le SCCCC : la logique du socle commun implique une acquisition progressive et continue des connaissances et des compétences par les élèves. Pour favoriser cette maitrise, le travail par compétences prend tout son sens. Il nécessite alors de faire évoluer nos pratiques tant dans la formation que dans l’évaluation de nos élèves.
– le cycle III : le conseil école-collège réaffirme la nécessité de travailler sur la notion de compétence et sur l’évaluation, pour donner du sens au cycle 3 de consolidation : prise en compte de la progressivité des apprentissages, regard croisé sur la notion de compétence, échange sur l’évaluation.
– la scolarisation des élèves à besoin éducatifs particuliers : pour les élèves des structures ULIS et UPE2A, le suivi et l’orientation nécessitent un dispositif personnalisé et spécifique.
Depuis septembre 2013, nous avons donc mis en place une évaluation par compétences sans avoir recours à la note pour toutes nos classes de 6e. Ce projet concernait initialement deux classes de 6ème sur cinq et l’année suivante, toutes les classes de 6ème soit cinq puis six classes.
Le dispositif a permis de dynamiser le travail en équipe pluridisciplinaire. Le travail de concertation s’est enrichi. Nous avons élaboré un référentiel commun de compétences, partagé par toutes les disciplines. Nous avons adapté les bulletins de fin de trimestre, la communication aux familles. Nous avons également mis en place une progression pour l’Accompagnement Personnalisé impliquant toutes les disciplines.
L’évaluation sans note permet de clarifier les attentes, de favoriser l’appropriation des apprentissages en travaillant sur une évaluation « au fil de l’eau », aux objectifs identifiés, plus proche des besoins de chacun. L’évaluation a ainsi plus de sens en identifiant de manière plus lisible les objectifs, les réussites et les points de faiblesse. Elle redonne confiance aux élèves en étant plus motivante que stressante. Nous tendons vers une évaluation relative au progrès qui ne classe pas les élèves. Pour l’enseignant, elle change le regard sur les productions des élèves, elle conforte les pratiques de pédagogie différenciée.
Le travail par compétences a permis de développer des stratégies pédagogiques adaptées et qui valorisent les compétences transversales entre autres : l’oral, le travail collectif et collaboratif, la conduite de projet, l’estime de soi,…
L’absence de note a permis de redonner du sens aux évaluations : les enseignants explicitent plus les objectifs d’évaluation en ciblant et en explicitant les compétences évaluées. Le positionnement des élèves au regard de chacune des compétences évaluées se fait selon quatre niveaux de maîtrise. La note, qui est essentiellement un indicateur de positionnement par rapport aux autres élèves, laisse place à des couleurs.
Les acquis sont valorisés et ce qui reste à acquérir est plus clairement ciblé. On passe d’une évaluation de savoirs et savoirs faire à une évaluation de compétences plus larges au service de la validation des cinq domaines du Socle.
Les effets mesurés à l’échelle de notre établissement montrent une évolution chez nos élèves les plus fragiles notamment de la confiance en leur potentiel et une valorisation de leur capacité. La qualité des apprentissages n’en est que meilleure.
Le constat fait par l’équipe pédagogique est que toutes les stratégies et postures pédagogiques mises en œuvre au niveau 6ème sont transférables aux autres niveaux. Le travail et l’évaluation par compétences devient, avec l’évolution de nos programmes, un incontournable. La note est encore utilisée en cycle 4 : le projet vise à ce que la note qui figure sur le livret scolaire transmis aux élèves et leurs parents à la fin de chaque trimestre, ne soit plus nécessairement une moyenne dont le principe est désormais très contesté mais un indicateur des compétences acquises.
Votre établissement s’est lancé dans l’évaluation sans notes en 2013. Quel a été l’argument qui vous a convaincu de commencer cette transformation ?
À l’origine, nous étions un groupe de quatorze professeurs en questionnement sur l’évolution de notre métier en termes de formation et d’évaluation de nos élèves. L’entrée en vigueur du Socle Commun en 2005 a nécessité de faire évoluer nos pratiques tant dans la formation que dans l’évaluation de tous nos élèves. La réussite et le bien-être à l’école pour nos élèves dits ordinaires comme pour ceux issus des dispositifs ULIS ou UPE2A nécessitent des parcours d’apprentissage adaptés, des évaluations qui donnent du sens aux apprentissages et favorisent l’estime de soi. Sous l’impulsion de notre chef d’établissement, nous nous sommes mobilisés pour modifier nos pratiques professionnelles dans ce sens.
D’une part nous avons reconsidéré nos évaluations pour les faire évoluer vers une évaluation par compétences :
– une évaluation formative, intégrée aux apprentissages et dans une logique de progrès
– une évaluation informative, fondée sur un référentiel de connaissances et de compétences critérié et explicite
– une évaluation positive et bienveillante par la mise en exergue de ce que l’élève sait et sait faire.
D’autre part, nous avons abandonné la note pour un positionnement selon quatre niveaux de maitrise en total cohérence avec l’évaluation du Socle Commun d’aujourd’hui. La note est trop souvent source de démotivation pour certains élèves, en particulier les plus en difficulté. Elle ne donne que très rarement une information de nature à permettre aux élèves de progresser. Au contraire, la mauvaise note vient « casser » l’estime de soi qui est l’élément fondamental pour faire progresser l’élève. Il nous a apparu essentiel de reconsidérer le positionnement de nos élèves pour passer d’une logique de comparaison à une dynamique d’encouragement.
« La grande transformation est alors en marche et aujourd’hui, notre dispositif implique plus de la moitié des enseignants de notre établissement ».*
Pour mettre en œuvre ce projet, avez-vous été accompagnés, sur le plan pédagogique et organisationnel, par les corps d’inspection ou par des formateurs ?
Pour mettre en œuvre un tel projet, il faut d’abord une équipe de personnels motivés. Ensemble, en concertation disciplinaire ou interdisciplinaire, nous avons mis en œuvre des référentiels, de nouvelles évaluations et travaillé à une communication accessible à tous. L’accompagnement personnalisé des élèves est au cœur de nos préoccupations.
Le pilotage de notre projet par le PARDIE (Pôle Académique Recherche Développement Innovation Expérimentation) permet d’être accompagné par des experts pour la mise en œuvre de l’action et la concertation d’équipe. Nous avons pu compter sur l’appui des IA-IPR de certaines disciplines : réflexion sur l’évolution de l’évaluation, accompagnement à la création de référentiels explicites. Le travail avec des formateurs de différentes disciplines a permis de mutualiser les pratiques d’évaluation d’une discipline à l’autre de réfléchir à une cohérence commune.
Quels ont été les principaux effets que vous avez pu constater, tant sur le plan des apprentissages que du climat scolaire ?
Les effets mesurés à l’échelle de notre établissement montrent une évolution chez nos élèves les plus fragiles notamment de la confiance en leur potentiel et une valorisation de leur capacité. Ils adoptent un autre regard sur leurs productions, apprennent à cerner leurs points de force et leurs faiblesses. La qualité des apprentissages n’en est que meilleure. L’absence de note rend l’évaluation moins stressante et centre le regard sur le potentiel de chacun.
Mais tout ceci n’est possible qu’en changeant les pratiques pédagogiques. Le développement de compétences implique nécessairement un changement dans la conception de l’apprentissage : développer le travail collaboratif, l’oral, le travail interdisciplinaire… Cela exige du temps, de la continuité et un investissement. En quatre ans, les projets se sont enrichis dans ce sens (projet autour de l’Accompagnement Personnalisé, projets interdisciplinaires…), les espaces ont évolués (classes en îlots, espaces de partage, d’exposition…).
Le constat fait par l’équipe pédagogique est que toutes les stratégies et postures pédagogiques mises en œuvre au niveau sixième sont transférables aux autres niveaux. Le travail et l’évaluation par compétences devient, avec l’évolution de nos programmes, un incontournable.
L’évaluation par compétences a-t-elle eu des effets inattendus ?
Trop souvent, il y a confusion entre évaluer par compétences et évaluer sans notes.
Plusieurs professeurs, des élèves et des parents ne veulent pas d’évaluation par compétences parce qu’ils veulent la note mais adhèrent à une évaluation informative, en cohérence avec le parcours de l’élève. L’évaluation par compétences a donc focalisé les débats sur la note. Cela a permis d’engager une réflexion sur la fabrication de la note, sur l’intérêt d’avoir une meilleure cohérence de notation dans les disciplines.
Nous veillons à être explicites pour que chacun comprenne que d’une part évaluer par compétences c’est évaluer selon un référentiel explicite, critérié, que d’autre part, le positionnement des élèves au regard des compétences évaluées peut se faire avec ou sans note.
Est-ce qu’au contraire, vous aviez envisagé certains obstacles que vous n’avez pas eu à affronter ?
Nous avons dès le début eu le souci de communiquer sur notre projet, auprès des parents, des élèves, des professeurs et de l’institution. Il a fallu apprendre à communiquer, faire évoluer les réseaux et les outils de communication. Nous avons donc eu très peu de réticence de la part des parents d’élèves et globalement une bonne voire très bonne adhésion à notre projet.
Pensez-vous que cette expérimentation peut, au final, s’étendre au cycle 4 ?
Il le faut et cela est cohérent avec l’évolution des programmes et de la société.
L’évaluation doit retrouver son rôle fondamental d’être informative. Utiliser des référentiels de compétences explicites, positionner les élèves au regard de ces compétences pour le faire évoluer vers une meilleure maitrise, c’est essentiel.
Changer les pratiques d’évaluation, c’est aussi changer ses pratiques d’enseignement pour que les élèves rendent utiles les savoirs, les mettent en œuvre en élaborant leur propre stratégie (non nécessairement experte). Il s’agit de mettre en activité les élèves selon leur propre potentiel, de les rendre actif dans leurs apprentissages.
Quel conseil donneriez-vous aux collègues qui envisagent de changer leurs pratiques d’évaluation ?
Il faut observer et s’observer. Nous devons devenir des « observateurs-évaluateurs » selon les propos de Philippe Perrenoud (Évaluer des compétences). Nos activités en classe permettent de développer et évaluer des compétences mais il faut savoir observer ce qu’elles mettent en évidence.
Dans un premier temps, il faut changer le regard porté sur les évaluations : regarder globalement ce que l’élève sait, cibler les forces et les faiblesses sans chercher l’exhaustivité. La compétence « Calculer » par exemple, ce n’est pas nécessairement réussir dix calculs, avec tous les types de nombres, sans recours à la calculatrice. Alors qu’est-ce que « Calculer » ? Selon les situations, le professeur devra lister des observables comme « l’élève conduit des calculs numériques de technicité modérée avec des nombres familiers, en utilisant la calculatrice ; il gère des carrés avec le théorème de Pythagore ; il calcule des aires ». Pour chacune des compétences développées et évaluées, le professeur aura à identifier ce qui la construit (donner du sens), à la décrire explicitement en acte (descripteurs).
Ce changement de regard, nécessitera de changer aussi les pratiques d’enseignement. Il faut que les élèves soient régulièrement amenés à résoudre des problèmes, à prendre des décisions, à gérer des situations complexes, à conduire des recherches, des projets. Si l’on veut que les élèves construisent des compétences, c’est à de telles tâches qu’il faut les confronter, chaque semaine, chaque jour, dans toute sorte de configurations. Il est nécessaire d’enrichir notre enseignement de situations auxquelles chacun peut être au départ démuni parce que le problème est encore à identifier ou à construire. Ce n’est pas une rupture par rapport aux pratiques de certains enseignants mais il s’agit d’une évolution des pratiques. Il faut accepter d’être pragmatique et de considérer que c’est une évolution qui prendra du temps tout en ayant conscience que nous n’avons pas de temps à perdre…
Enfin, le travail en équipe doit être valorisé. Le changement ne peut concerner un professeur individuellement. Il s’agit d’un travail collectif, source d’inspiration et de stimulation.
Sandrine Jouvenot, Professeure de mathématiques et formatrice à l’ESPE dans l’académie de Besançon
* en référence à l’ouvrage École : la grande transformation ? François Muller et Romuald Normand