Durant votre Master en FLE (Français Langue Etrangère), vous avez mené un atelier sur le thème « École et Parentalité ». Quel était l’objectif de cet atelier et comment les séances étaient-elles organisées ?
Cet atelier sociolinguistique mis en place sur trois quartiers de Besançon avait pour but de permettre aux stagiaires allophones et analphabètes d’entrer dans l’écrit via le thème de l’école et de la parentalité. En binôme, nous avons conçu une programmation durant 3 mois, à raison de deux demi-journées par semaine dans chaque quartier.
Il y avait donc un double objectif, celui de l’apprentissage de la langue, notamment écrite, et la connaissance du système scolaire français. Il s’agissait de permettre aux parents de participer activement à la scolarité de leurs enfants et tenter de réduire les risques de décrochage scolaire chez les élèves de familles issues de l’immigration. Pour cela nous avons utilisé des documents authentiques (carnets de liaison, documents informatifs) pris dans les établissements scolaires fréquentés par les enfants des stagiaires. Nous avons travaillé la phonétique et la graphie à partir du vocabulaire scolaire (les matières enseignées, les fournitures…).
Dans la continuité de vos études universitaires, votre première vie professionnelle s’est déclinée comme formatrice FLE et formatrice conseil au sein de plusieurs organismes de formation. Lesquelles ? En quoi consistaient principalement vos missions ? Comment s’est terminée cette aventure ?
J’ai très vite commencé à travailler en tant que formatrice conseil en Français Langue Etrangère, auprès de publics primo-arrivants dans le cadre de formations CAI (Contrat d’Accueil et d’Intégration) devenues aujourd’hui CIR (Contrat d’Intégration Républicaine). Cette formation est obligatoire pour les personnes étrangères arrivant sur le sol français. Il s’agit d’amener les stagiaires à un niveau A1, par le biais de thèmes tels que le logement, la santé, le travail, l’école, la culture. Ces formations doivent permettre, au-delà de l’apprentissage de la langue française de s’approprier les savoirs-être et les connaissances nécessaires pour vivre en France. La mission est ici de répondre à la demande de l’Office Français de l’Immigration et d’Intégration tout en prenant en compte les besoins et attentes des stagiaires.
Toujours en tant que formatrice FLE j’ai eu en charge divers ateliers sociolinguistiques, de réinsertions, cette fois le public était composé de personnes résident en France depuis plusieurs mois, années, voire décennies. Le but de ces ateliers est l’apprentissage de la langue, en particulier l’écrit, au travers de sortie dans des lieux tels que les bibliothèques, la Poste, la Caf… des ateliers cuisine, des récits de vie…
J’ai aussi été en charge de groupes en DFL (Dispositif de Formation Linguistique), pour préparer les stagiaires ayant fait leurs heures obligatoires (CIR) au Diplôme En Langue Française (DELF) du niveau A1 au niveau B2.
La particularité de ces différents dispositifs est l’hétérogénéité des publics, tant par leur niveau que par leur langue maternelle et leur date d’arrivée en France.
Dans une moindre mesure j’ai aussi travaillé pour le CREEDEV (Centre Régional d’Enseignement et d’Education Spécialisés pour Déficients Visuels) de Besançon en tant qu’assistante socio-éducative auprès de jeunes non et malvoyants. Mais aussi comme formatrice conseillère en insertion professionnelle en charge de la formation « élaboration de projet professionnel ».
Au fil des années j’ai exercé mon métier de formatrice dans divers centres de formation et associations, ce qui m’a permis de connaitre les différentes actions existantes dans le domaine du FLE. C’est alors que j’ai eu envie de changer de métier, de me réinventer. J’aime transmettre, accompagner, me sentir utile aux stagiaires.
Vous exercez actuellement comme assistante d’éducation dans un collège de Haute-Saône où l’on vous a proposé un poste à profil au sein d’un ateliers-relais. Quel public accueillez-vous au sein de ce dispositif ? Comment définiriez-vous le travail éducatif mené avec les élèves ?
J’ai donc postulé pour être assistante d’éducation à la rentrée 2020. J’ai eu la chance de me voir proposer un poste à profil, à 60% en atelier relais, en binôme avec l’enseignant référent de l’atelier. J’ai découvert le public adolescent en difficulté. Difficulté scolaire, sociale, psychologique et émotionnelle. L’atelier relais accueille des élèves en rupture/décrochage scolaire. Les causes de ce décrochage sont multiples. Certains élèves ont « juste » des problèmes d’absentéisme qui créent un retard dans les apprentissages, d’autres de comportement (violence physique, verbale). Certains paraissent même souffrir de troubles du comportement.
A l’atelier relais nous essayons de comprendre l’élève dans son individualité, les raisons de son comportement, de relever les indices qui permettent d’anticiper le point de rupture, de trouver des solutions avec lui pour éviter d’en arriver là, ce qui n’est pas toujours possible dans un groupe classe de 25. Il s’agit ici d’apporter un cadre, d’amener les élèves à renouer le dialogue avec les adultes référents, l’autorité, mais aussi avec les apprentissages dans le but qu’ils réintègrent leurs établissements d’origine de manière sereine, pour eux comme pour l’équipe pédagogique et éducative. Il ne s’agit pas là de remettre à niveau les élèves qui ont des lacunes ou du retard, mais de travailler sur les comportements individuels et au sein du groupe classe. J’aime beaucoup l’approche pluridisciplinaire que nous adoptons à l’atelier, les dimensions psychologique et sociale se mêlent à la dimension éducative et pédagogique de l’enseignement ordinaire. Il y a une fonction d’apaisement de l’enseignant/accompagnateur qui est très intéressante.
Cette expérience m’a donné envie de poursuivre ma carrière professionnelle auprès des enfants et adolescents à besoins éducatifs particuliers.
Pourriez-vous nous faire partager le portait d’un élève que vous avez suivi et nous décrire l’accompagnement dont il a bénéficié ?
Nous avons rencontré des profils très différents au sein de l’atelier relais. Un des élèves que nous appellerons Antoine a particulièrement marqué mon esprit. Antoine, élève de 5ème parait avoir des difficultés à entrer dans les activités pédagogiques, il met en place diverses stratégies d’évitement pour ne pas les faire. Il embête ses camarades en les regardant de manière insistante et moqueuse, leur fait des doigts d’honneur sans qu’on le voit, fait du bruit avec sa chaise ou ses pieds, se déplace pour prendre un Rubik’s cube, demande sans cesse quand est ce qu’on va en récréation, qu’on joue au Uno… Lorsqu’on le reprend, il entre « en crise ». Il se mure dans un silence sans fin, on ne parvient même plus à établir un contact visuel avec lui. La seule chose qui semble l’apaiser c’est les écrans : la tablette ou l’ordinateur. Dans son établissement d’origine il apparait que lorsqu’il fait une crise ou qu’il refuse de faire une activité, on lui donne sa tablette pour « avoir la paix ». Pour éviter qu’il ne perturbe trop les autres élèves dans leurs activités pédagogiques nous lui créons un espace en retrait des autres. Nous l’autorisons à garder un Rubik’s cube à sa table. Nous l’accompagnons dans toutes ses activités pédagogiques, il a un besoin constant de la présence rassurante de l’adulte. Nous la lui apportons autant que faire se peut. Nous limitons son accès aux écrans petit à petit. Nous étions d’accord sur le fait qu’Antoine devrait avoir un suivi spécifique, son attitude relevant du trouble du comportement. Grâce à la persévérance de l’enseignant de l’atelier relais auprès de l’équipe éducative de l’établissement d’origine d’Antoine et de ses parents, Antoine a bénéficié d’une seconde session à l’atelier relais, et de la mise en place d’un GEVASCO pour une prise en charge adaptée à son profil.
En appui à votre pratique professionnelle, vous manifestez de l’intérêt pour diverses lectures liées à votre champ de compétences. Quelle est celle qui a récemment retenu votre attention ?
J’ai récemment lu le mémoire d’une avocate qui est devenue enseignante en ITEP (Institut Thérapeutique éducatif et pédagogique). Cette lecture a retenu mon intention car les profils des élèves dont elle fait la description sont similaires aux profils de certains des élèves accueillis à l’atelier relais. Y sont décrits des enfants/adolescents qui sont en recherche de limites, qui attaquent le cadre, refusent d’entrer dans les activités bien souvent par le rejet et les insultes ; des enfants qui ont été mal-maternés, mal-construits, qui se cachent derrière une carapace agressive ; qui ont recours à des stratégies d’évitement comme une extrême lenteur, une grande agressivité envers les autres et/ou l’équipe pédagogique, de l’excitation extrême… des enfants psychiquement et émotionnellement indisponibles pour les apprentissages.
Votre passé de formatrice revient au galop avec le projet de transmettre vos savoir-faire aux personnels non-titulaires de votre bassin d’éducation. Quelles sont vos motivations pour un tel projet ?
J’ai toujours aimé mon métier de formatrice : transmettre des savoirs (être, faire), accompagner les stagiaires, les élèves dans l’acquisition de compétences, concevoir des ressources pédagogiques, une progression, adapter mes pratiques pédagogiques à mon public… tout cela fait partie de moi. Mes multiples expériences professionnelles m’ont amenée à un certain degré d’expertise concernant la gestion d’un groupe classe (adultes ou adolescents). Mon expérience en tant qu’assistante d’éducation a révélé mon aptitude à créer à la fois un rapport de confiance et de respect avec les élèves. L’équipe éducative est là pour faire respecter le cadre, les règles mais doit aussi apporter un sentiment de sécurité afin que les élèves puissent se confier en cas de problème. L’idée de transmettre les savoirs et compétences que j’ai pu acquérir au fil de mes expériences professionnelles me motive énormément. Savoir que mes compétences pourraient aider certains AED à adopter la bonne posture face aux élèves (gestion des conflits, recherche de solutions face à certains comportements) me donne envie d’explorer cette piste.
Vous appréciez particulièrement le visionnage de documentaires et films liés à la nature, à la cause animale et végétale, à l’environnement. En quoi ces reportages sont-ils source d’inspiration et d’épanouissement pour vous ?
Je suis quelqu’un de sensible à l’avenir de notre planète, aux questions environnementales et écologiques. J’aime m’instruire à ce sujet, comprendre le fonctionnement du règne animal, la manière dont les arbres communiquent entre eux… la magie de la vie. Je trouve particulièrement intéressant des films comme Okja du réalisateur Bong Joon-ho, qui mélange science-fiction et dénonciation de l’élevage industriel avec tout ce que cela implique de cruauté. Des reportages comme Home de Yann Arthus Bertrand, qui permettent à tous de voir la beauté de notre Terre et les dangers qui la menacent. Ces films et documentaires sont aussi facilement exploitables en classe afin de sensibiliser les enfants ou adultes aux questions environnementales.
Hélène Pernot, AED dans un collège de Haute-Saône