Vous avez débuté votre carrière en tant qu’enseignante de la discipline lettres-anglais en lycée professionnel. Comment avez-vous réussi, pendant une douzaine d’années, à susciter l’intérêt et la participation des élèves et à lutter contre le décrochage scolaire ?
Je n’ai pas toujours réussi à susciter l’intérêt des élèves, loin de là ! J’ai parfois réussi, d’autres fois, pas du tout. Je pense qu’il faut rester humble à ce sujet. Il a fallu aussi que j’apprenne à connaître mon propre mode de fonctionnement en tant qu’enseignante : tous les enseignants n’enseignent pas de la même manière, n’ont pas la même posture, et ne sont pas « touchés » par les mêmes choses. Il est important d’en prendre conscience. J’ai beaucoup appris tout au long de ces années passées dans l’Éducation Nationale. Par contre, malgré certains moments de doutes ou de fatigue, j’ai fait de mon mieux pour encourager les élèves à se remettre dans une dynamique de travail, à avoir confiance en leurs capacités, et surtout à repenser leur futur d’un œil plus optimiste et bienveillant. J’ai également essayé de leur faire comprendre que si la réussite pouvait être à portée de main, il fallait se démener un peu pour atteindre certains objectifs.
Il est vrai que les élèves qui nous arrivent en Lycée Professionnel ont trop souvent une opinion très négative d’eux-mêmes et rencontrent parfois des problématiques personnelles difficiles et palpables ; il me semble que l’enseignant qui se trouve devant eux se doit de les encourager de manière à la fois positive et réaliste : si on veut réussir, on s’en donne la peine, au risque de se tromper ou d’échouer, mais pas toujours ! Donc mon enseignement de l’anglais et du français a eu pour objectif de remobiliser les élèves sur leurs apprentissages, sur les programmes officiels (en variant les supports et en proposant des outils de remédiation afin de ne pas les noyer dans de nouvelles difficultés et de les faire progresser) ; il s’est en parallèle appuyé sur un travail autour de l’estime de soi. Mais il me semble que beaucoup de mes collègues de LP (ou travaillant en éducation prioritaire) travaillent dans ce sens.
Il a également été nécessaire d’instaurer un climat de confiance entre les élèves et moi, d’instaurer un respect mutuel. Pour que les élèves ne « bloquent » pas sur mes matières, il a fallu leur faire comprendre que je n’étais pas là pour les juger de manière hautaine. Que j’étais là pour les aider à apprendre et à progresser. Qu’aucune question n’était idiote. Cela peut paraitre évident pour certains, mais sur le terrain, on se rend vite compte qu’à un moment donné de leur vie « d’élève », la confiance en l’adulte a été quelque peu remise en question.
Dès le début de ma carrière, j’ai repensé à ce que mon grand-père disait parfois : « Entreprends sans crainte, tu réussiras. » C’est peut-être une chance.
Recrutée ensuite sur un poste à profil, vous vous lancez le défi d’exercer dans un collège de l’éducation prioritaire. Vous faites le choix d’adapter votre enseignement à la diversité des élèves et de concevoir les outils pédagogiques innovants. Quelles ont été vos motivations pour postuler sur ce poste ? Pouvez-vous nous en dire plus sur l’approche pédagogique que vous défendez ?
J’ai été TZR plus d’une dizaine d’années, et bien qu’aimant énormément mon travail, je me suis rendu compte qu’obtenir un poste fixe non loin de chez moi relevait un peu du rêve lointain et inaccessible… et c’est difficile de proposer des projets lorsque l’on ne sait pas dans quel établissement l’on sera l’année suivante. J’ai également ressenti le besoin de changer de public, de changer tout simplement. J’ai donc rencontré à deux reprises un conseiller mobilité carrière qui m’a parlé de ces fameux postes ECLAIR. Et j’ai postulé. Nouveau challenge : un collège ECLAIR (devenu REP+), avec des élèves plus jeunes, et peut-être plus remuants. La première année a été une année de test : donc assez difficile, je ne le cache pas. Et comme je l’ai dit précédemment, j’ai une manière d’enseigner qui m’est propre (beaucoup d’oral notamment, et j’ai, par exemple, besoin de dynamisme dès le matin à 8h00, je n’y peux rien !). Il a donc fallu que les élèves s’adaptent à moi, retravailler sur ce climat de confiance et de respect mutuel dont je vous parlais tout à l’heure, et montrer à ces élèves ce qu’ils pouvaient accomplir avec un peu de travail et de sérieux… et d’envie.
En ce qui concerne les outils pédagogiques utilisés, n’arrivant absolument pas à travailler en anglais avec un manuel et un workbook tout au long de l’année (si l’on doit stimuler les élèves, il faut se stimuler soi-même ! ), j’ai expérimenté diverses choses : projets eTwinning avec des collèges d’Italie, de Norvège, d’Angleterre et ouverture de twin spaces pour les échanges. Là aussi, il y a eu quelques couacs mais aussi de belles réussites : et finalement, les élèves ont à ces moments-là su faire preuve de bienveillance envers leur professeur !
J’ai également proposé à tous mes élèves, quelles que soient leurs compétences en anglais (donc même à mes élèves de SEGPA que j’aimais particulièrement) d’écrire à des correspondants en Europe. Quand les collègues partenaires parvenaient à jouer le jeu, cela motivait mes élèves doublement. Ils ont de plus compris que l’anglais leur permettrait d’échanger avec des personnes provenant de toute l’Europe.
Avec mes collègues enseignants de SEGPA, nous avons proposé un voyage scolaire de quelques jours en Écosse à nos élèves de 3è générale de REP + et aux élèves de 3è SEGPA : ce projet « inclusif » a été, à mes yeux, une merveille. Pas grâce à nous, enseignants, mais grâce à l’implication et la maturité dont ont fait preuve nos élèves. Chacun a su trouver sa place dans le groupe, même les plus timides, les moins débrouillards, les moins impliqués lors des cours « en classe ».
L’ouverture sur l’extérieur et l’inclusion de tous les élèves me semblent être indispensables : cela permet de donner un sens à certains apprentissages, cela permet de vivre ensemble, dans le respect. Il me semble que ce sont des valeurs défendues par la République, et je crois en ces valeurs, même si je sais qu’elles sont trop souvent bafouées ou méprisées.
Le dynamisme et l’expérimentation me paraissent également primordiaux dans notre métier, même lorsque l’on se trompe : si cela est bénéfique pour les élèves, ça l’est pour l’enseignant.
La richesse de votre parcours témoigne de votre attachement à une conception transversale de l’enseignement et à une vision systémique de l’École. Quel regard portez-vous sur la réforme du collège qui a accouché de la loi de refondation ? En quoi le travail au sein d’équipes pluridisciplinaires vous semble-t-il aller dans le bon sens ?
L’École doit avoir un sens pour les élèves, pour les parents et les enseignants (et CPE, etc) aussi. Si les apprentissages sont systématiquement cloisonnés, quel sens peuvent-ils réellement avoir ? La pédagogie de projet, le socle commun de compétences vont dans ce sens : il est bon d’expliquer aux élèves quelles compétences sont mobilisées selon les objectifs visés, afin qu’ils puissent réellement visualiser ce qu’ils savent faire et qu’ils puissent remobiliser toutes ces compétences par la suite, pour de nouvelles tâches. Le travail au sein d’équipes pluridisciplinaires peut tout à fait être enrichissant, à la fois pour les adultes et les élèves. Il me semble cependant que ce travail ne peut fonctionner que si chaque intervenant est convaincu des bienfaits et de la pertinence de tels projets. Pour ma part, et notamment au sein du dispositif relais, je pense que l’échange entre les différents intervenants permet de mettre en place des projets stimulants, et permet davantage de dynamisme.
Depuis la rentrée 2017, vous êtes coordinatrice d’une classe-relais qui accueille des élèves en phase de décrochage. Quels sont les principaux partenaires avec lesquels vous êtes en contact au quotidien ? Quelles sont vos impressions après deux mois dans cette nouvelle « peau » professionnelle ?
Nous avons un partenariat avec la PJJ. L’intervention en dispositif relais de l’éducatrice et de L’AS PJJ consiste notamment à :
assurer le lien avec les familles (par des visites à domicile, des rencontres avec les parents au collège d’origine du jeune) afin de les (re)mobiliser autour de la scolarité de leur enfant, dans un climat de bienveillance ; rencontrer le jeune sur des temps individuels, ce qui n’exclut pas ponctuellement des interventions en petits groupes ou autre, afin d’identifier et évaluer les éléments relatifs à sa personnalité, à sa situation familiale, scolaire et environnementale. Leur champ de compétence est l’accompagnement éducatif auprès du jeune et de sa famille.
Ce partenariat permet un échange d’informations des plus intéressants. Nous pouvons croiser les regards des membres de l’équipe du DR (une équipe pluridisciplinaire !) afin d’élaborer des stratégies éducatives adaptées à la situation de chaque jeune pour lui permettre de reprendre goût à sa scolarité et d’éviter le décrochage.
Avec votre personnalité positive et inventive, tout porte à croire que le poste que vous occupez actuellement ne sera pas le dernier de votre carrière. Quelles sont vos envies, vos projets, vos aspirations à moyens termes ?
Mes projets ? Je souhaiterais me former à la médiation par l’animal afin de pouvoir aborder certaines problématiques de manière différente. Ce projet correspond tout à fait à ma vision de ce que peut offrir le système éducatif : une approche différente, mais toujours bienveillante. Et aller travailler avec son animal, quel bonheur, n’est-ce pas ?
Les problèmes présentés par les élèves concernés par le dispositif relais sont les suivants : absentéisme non justifié, problèmes de comportement, refus de travail, non respect des règles de vie de l’école, extrême passivité dans les apprentissages instaurant un processus d’échec et d’abandon ; les dispositifs relais contribuent donc à la prévention et à la lutte contre le décrochage scolaire.
Les objectifs du dispositif sont notamment d’aider les élèves inscrits à reprendre confiance en eux ; recréer des liens positifs avec le système scolaire (à la fois pour le jeune et pour sa famille); apprendre à mieux vivre en société. La médiation par l’animal pourrait nous être d’une aide précieuse. J’en suis convaincue.
Je souhaiterais également me rendre dans différents pays afin d’apprendre de nouvelles approches éducatives. Échanger, se questionner quand on fait un tel métier : cela me semble important, et stimulant !
Jeanne Antczak – Coordonnatrice de classe-relais