« Les élèves ont une force mentale exceptionnelle » : crise sanitaire et enseignement à Mayotte

Nadia enseigne à Mayotte depuis 2015, année de son installation dans le département. Elle est en poste au Lycée Tani Malandi de Chirongui dans le sud de l’île, endroit encore plutôt calme, loin des violences sociales qui règnent sur les autres parties de l’île. Elle répond aux questions du SE-Unsa, concernant les difficultés pour mener un enseignement à distance, du fait de la crise sanitaire, dans un des départements les plus pauvres de France.

En quoi l’enseignement a distance à Mayotte c’est quand même pas pareil qu’ailleurs ?

L’enseignement à distance à Mayotte fonctionne à deux vitesses. Nous avons d’un côté, des élèves studieux et équipés correctement à la maison pour pouvoir suivre des cours à distance, c’est-à-dire une bonne connexion internet et un ordinateur. D’un autre côté, nous avons des familles dont les revenus sont extrêmement bas et dont la priorité n’est pas l’école mais plutôt de se nourrir au quotidien. Ces familles vivent dans des conditions très difficiles car elles n’ont pas accès à l’électricité et à l’eau potable (difficile de le croire et pourtant ils sont nombreux dans ce cas). Il est difficile lorsque l’on est professeur principal de recevoir une quantité d’emails de témoignages d’élèves qui traversent une période difficile et qui n’ont rien à manger ou encore doivent s’acquitter des tâches ménagères avant de se mettre au travail. Malgré cela, ils essayent de s’accrocher à l’école qui représente pour eux une issue. Ils se procurent pour la plupart des téléphones portables à cartes pré-payées pour pouvoir suivre les cours. L’an dernier le rectorat a acheté un grand nombre de cartes chez plusieurs opérateurs et les a principalement distribuées aux classes à examen en lycée pour éviter le décrochage. Nous avons également ouvert au sein de mon établissement une cagnotte en ligne pour distribuer des bons alimentaires aux familles. Les professeurs se sont tous mobilisés. C’est difficile de faire face à tout cela et parfois nous oublions notre métier pour laisser place à l’humain simplement.

L’enseignement à distance a t-il changé la manière de se comporter des élèves ?

Je partage mon expérience en lycée, mais le collège connaît d’autres problématiques. Pour terminer sur une note positive, beaucoup d’élèves qui ne s’expriment pas en classe ou qui ont du mal à suivre se mettent à travailler, à envoyer leur travail enregistré, c’est agréable et encourageant. Nous apprenons tous les jours avec ces élèves et grandissons car ils ont une force mentale assez exceptionnelle.

Pédagogiquement peut-on faire mieux avec ce 2ème confinement, au vu de ce que savent faire les élèves ?

Ce deuxième confinement se passe pour le moment mieux dans le sens où les familles se sont équipées en matériel informatique ou téléphone portable et peuvent donc avoir un regard sur le travail de leurs enfants. Les professeurs principaux ont anticipé suite aux dysfonctionnements de l’an dernier. Les adresses mails sont devenues obligatoires à fournir (celle de l’élève ou d’un membre de la famille) ainsi qu’un numéro de téléphone valide sur lequel nous pouvons joindre l’élève. En classe, beaucoup d’enseignants ont commencé à intégrer les TICE de plus en plus dans leurs cours pour sensibiliser et former les élèves à l’informatique en vue d’un possible deuxième confinement qui vient en effet d’être annoncé. Cependant, encore trop d’élèves n’ont pas les bases pour se servir d’un ordinateur. Envoyer un document en pièce jointe, écrire un texte par exemple est encore trop compliqué.

Quelles difficultés ont les profs pour travailler avec les élèves selon les classes, les séries… ?

La principale difficulté que rencontrent les enseignants, quelle que soit la série ou la classe, est la bonne maîtrise de la langue française. Cela se ressent principalement sur la bonne compréhension des consignes de travail. Globalement, en lycée, les élèves de la série générale ont un niveau bien meilleur que ceux qui suivent la voie technologique. En série technologique, le niveau est vraiment très faible et cette année encore plus, suite au contexte épidémique que nous traversons et à ses conséquences sur la scolarité. Cela s’explique également par le choix d’orientation. Bon nombre de ces élèves n’ont pas le niveau, par exemple, pour suivre une filière STMG, mais y sont placés par défaut. Nous manquons énormément de place en voie professionnelle ou en CAP et ces élèves suivent cette filière par défaut, pour rester dans le système scolaire.

Pourquoi replonger dans ses racines et en faire un livre ? Harry CPE témoigne…

Trente ans après l’avoir quittée, Théodore Harry Boutrin CPE, retrouve et redécouvre sa Martinique, dans le cadre d’un congé bonifié. Cette immersion, dans un environnement évocateur, l’inonde d’émotions, de tendresses, et de surprises… Il raconte cette expérience unique dans un livre et a accepté de répondre à nos questions.

Qu’est ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?

Au départ, je voulais juste écrire une lettre à mes enfants pour répondre à leurs questions sur mes origines, et en plus de satisfaire leur curiosité, leur transmettre quelque chose d’utile.

Lorsque j’ai pu établir un lien clair entre le congé bonifié, l’intensité des souvenirs et la construction identitaire, alors le récit destiné à mes enfants est devenu progressivement un cheminement vers la construction d’un tapuscrit.

Et puis, j’ai trouvé là l’occasion, de dire à ceux qui pensent que le congé bonifié n’est qu’une histoire de vacances sous les tropiques, que c’est bien plus que cela.

L’écriture m’a également offert un formidable terrain de réflexion et d’expression pour rendre hommage à des personnes qui ont compté et qui comptent dans ma vie, en particulier ma mère et ma grand-mère, des femmes courageuses, obstinées, aux forces décuplées, pour donner à leurs enfants une vie plus honorable.

Que représente pour vous le retour sur votre terre natale ?

C’est ma madeleine de Proust, ces saveurs que l’on ne trouve nulle part ailleurs, cette singularité des Martiniquais que j’avais oubliée, dans leur rapport aux autres, leur abnégation à toujours positiver. C’est une redécouverte enrichissante et instructive qui me procure des énergies positives afin de poursuivre ma vie. C’est cela pour moi se ressourcer.

En Martinique, parce que je suis dans cet environnement évocateur, les souvenirs m’inondent et me procurent une palette d’émotions intenses, riches d’enseignements, car elles m’invitent à leur donner un sens.

C’est ce qui fonde tout l’intérêt de se rendre sur sa terre natale, le passé redevient présent comme pour l’éclairer.

Cette expérience très intime n’est pas spécifique à ma condition d’Ultra-marin, je suis convaincu qu’elle est universelle.

Pourquoi avoir voulu partager votre histoire ?

La rendre accessible à d’autres lecteurs que ceux de ma famille n’était pas une chose évidente. Se dévoiler publiquement implique une prise de risques à laquelle je ne suis pas habitué. Mais le désir, de partager, de questionner d’autres sur la relation qui est la leur avec leurs origines, l’a emporté.

J’espère, avec mon livre, contribuer à préserver une mémoire familiale, et bien au-delà, car je décris des lieux, des événements, une époque qui sont évocateurs pour une communauté plus large que la sphère de mes proches.

Vous parlez d’identité, comment caractérisez-vous la vôtre ?

On devrait à mon sens parler d’identités (au pluriel), car les domaines où elle s’exerce sont nombreux.

Au sens intime, c’est-à-dire le regard que l’on porte sur soi, je vois l’identité, comme la conscience des caractéristiques intrinsèques qui fondent sa singularité, sa personnalité, pour le dire simplement une façon très personnelle de se représenter et d’exprimer la vie, dans des domaines divers, par exemple le langage, les arts, le rapport aux autres, à l’espace et au temps et le cadre professionnel.

Mais elle est perméable à la pression sociale dans la mesure où cette identité peut être influencée par la société qui classe les individus selon des attributs catégoriels (sexe, couleur, origine géographique…), impliquant des positions sociales et des comportements attendus. L’identité est donc une unité originale, en interaction avec une dynamique sociétale.

Édouard Glissant exprime fort bien cette idée dans son livre « tout monde » par la phrase « je peux changer en échangeant avec l’autre sans me perdre pour autant ni me dénaturer ».

En ce qui me concerne, sur le plan linguistique par exemple, mon identité se caractérise souvent par l’usage du créole qui bien plus qu’un moyen de communication, exprime une origine, une façon singulière d’incarner la vie, qui produit des représentations très personnelles et des interactions bien spécifiques.

Pour citer d’autres domaines, j’évoquerai l’art culinaire. Lorsque je mange un plat antillais, je mets en bouche en petit bout de territoire avec lequel j’ai une histoire. Le goût est une saveur évocatrice, que je cherche à provoquer.

J’ajouterai le rapport au temps. Lorsque je suis arrivé en métropole, j’avais l’impression que le temps passait plus vite, et j’étais parfois perçu comme quelqu’un qui était lent. Mais en réalité, j’avais appris à prendre mon temps c’était une des caractéristiques de mon identité. Je me suis adapté, mais je ne pense pas l’avoir totalement perdue.

Il y a d’autres domaines, mais j’en terminerai par l’identité professionnelle en référence à une citation de Marie-Pezé, psychologue clinicienne : « travailler c’est apporter quelque chose de soi ». D’ailleurs la formation initiale des CPE vise à les accompagner vers la construction d’une identité professionnelle. Cela signifie l’acquisition de savoirs et le développement progressif de compétences transposables avec un certain niveau de maîtrise dans un environnement complexe.

L’identité, à mon sens, c’est donc s’approprier à notre façon ce que l’on veut, mais sans être certain de plaire.

La question de l’identité est prégnante dans mon métier (CPE), car je rencontre des jeunes venus de tous horizons et qui se questionnent sur leurs origines sans forcément l’exprimer clairement.

Pourriez-vous développer sur le lien avec les missions d’un CPE ?

L’éducation à la citoyenneté est un des axes principaux de ma mission de CPE.

La citoyenneté active va bien au-delà du respect des règles, car elle suppose l’idée d’engagement, de participation à la vie collective. Chacun a quelque chose de personnel à apporter pour enrichir la communauté. Cela peut être une idée, un peu de son temps pour élaborer un projet ou faire fonctionner une instance démocratique.

Mais je crois que l’engagement suppose deux choses importantes. Une volonté et l’estime de soi.

Il arrive que les élèves ne s’engagent pas non par manque d’estime d’eux-mêmes, mais parce que le sujet ne les intéresse pas, ils n’en voient pas l’utilité. Ce désengagement révèle donc une perte de sens. L’éducateur que je suis doit alors s’impliquer pour clarifier, expliquer et encourager.

Et puis il y a ceux qui ne s’engagent pas parce qu’ils sont réservés, et d’autres qui ont peur de s’exposer.

Je comprends cela, j’évoque d’ailleurs dans mon livre mes peurs, leurs origines et leurs conséquences. La peur est une réaction naturelle qui met en alerte face à un danger réel ou supposé. Elle est parfois irrationnelle et peut relever d’une construction, d’une croyance.

J’ai parfois remarqué que certains élèves qui ont peur de s’engager dans des choses simples comme une prise de parole en classe n’osent plus en raison d’un échec non surmonté. Une mauvaise réponse et un retour mal vécu, des moqueries de leurs camarades en raison de leur accent en anglais, ces petites situations où l’élève est ressorti avec un sentiment d’humiliation. C’est dévastateur sur le plan de la construction identitaire.

Pour surmonter cela, il faut bâtir une nouvelle expérience pour déconstruire l’ancienne vécue tel un échec dominateur et installé. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire.

Pour aider les élèves, comme mes collègues CPE, je travaille avec d’autres professionnels (psychologues de l’éducation nationale, sophrologues…) qui aident les jeunes à développer leur potentiel et faire de nouvelles expériences.

L’estime de soi est selon moi la base de tout engagement. C’est un éclairage sur soi, suffisamment valorisant pour oser. Il faut aider le jeune à en faire un élément clé de son identité.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour réaliser ce livre ?

D’abord me convaincre que c’était possible. Il m’a fallu beaucoup de temps et sans les encouragements et le soutien indéfectible de ma mère, de mon épouse et de Claude-Josse qui fut mon professeur de français il y a plus de 25 ans, je n’y serais pas arrivé. La réussite se construit aussi avec d’autres.

Certains souvenirs douloureux ont refait surface. Ils sont sortis telle la poussière sous le tapis accompagné d’émotions désagréables. Mais au final, ils m’ont apporté des enseignements enrichissants et libérateurs.

Et puis j’ai dû fournir un travail important dans un temps réduit, car j’ai une activité professionnelle et une vie de famille. Alors j’écrivais parfois la nuit ou tôt le matin, ce qui entrainait indubitablement des moments de fatigue durant la journée.

À certains moments j’ai manqué d’inspiration, sur une période plus ou moins longue. Certains passages ne me convenaient pas, J’ai dû les refaire de nombreuses fois. Cette abnégation m’a parfois renvoyé à nos élèves, ce que nous leur apprenons si souvent. Croire en eux et persévérer.

Enfin, qu’aimeriez-vous que l’on retienne de votre livre ?

Les préjugés peuvent être blessants. Il est bien plus enrichissant de considérer les différences comme une richesse que de les enfermer dans une spécificité catégorielle impliquant souvent une vision réductrice.

Un être humain, un citoyen c’est bien plus que la couleur de ses cheveux, ses yeux, sa peau, ses origines… Ce ne sont là que quelques indications sommaires.

J’aimerais que mon livre encourage celles et ceux qui hésitent à s’engager dans un travail d’écriture, en vue d’une publication ou pas, car cela vaut vraiment la peine de s’y consacrer, en dépit des difficultés. C’est à la fois libérateur et valorisant. En ce qui me concerne, j’étais très motivé à l’idée de transmettre à mes enfants un message qui me paraît important. L’identité, ce n’est ni le repli sur soi, ni le reniement de soi.

Il conjugue à mon sens citoyenneté et estime de soi.

Comment se procurer votre ouvrage ?

Dans toutes les librairies et sur internet. Pour en savoir plus, vous pouvez cliquer sur l’image ci-dessous.

Amandine, professeure de SVT en Guyane, témoigne

Qu’est ce qui a été à l’origine de votre motivation pour demander votre mutation en Guyane ? Quelles sont les grandes caractéristiques de l’établissement dans lequel vous exercez ?

Tout d’abord, je n’ai jamais vraiment eu l’occasion de voyager très loin, pourtant j’en mûrissais l’envie depuis deux ans. Je pense qu’une partie de ma motivation trouve son origine là. Je ne me suis jamais fermée la porte à aucune académie car j’aime bien le changement : il est source de remise en question. C’est en regardant les barèmes prévisionnels de mutations en SVT que j’ai mûri mon désir de partir en Guyane. Après deux ou trois recherches sur internet j’étais convaincue : sa biodiversité abondante et la perspective de découvrir un nouvel environnement culturel m’avaient séduite ! Je me suis néanmoins posé des questions et j’ai même vraiment hésité à un moment car le peu de retours que j’en avais étaient négatifs. J’ai mis de côté mes choix de mutation un ou deux jours et j’ai pesé le pour et le contre. J’ai alors mesuré que mon envie de partir était plus grande que mon envie de rester et je me suis dit « C’est maintenant ou jamais : ça te tente, alors teste par toi-même et n’écoute pas les « on dit » ». C’est alors que j’ai réalisé qu’en tant que professeur de SVT, je pourrais découvrir une biodiversité époustouflante et une diversité culturelle enrichissante qui me demanderait de m’adapter et de remettre en question la manière d’enseigner que j’avais établie durant mon année de stage. Il y avait là un vrai défi et un changement assuré qui me permettrait de m’enrichir personnellement et d’enrichir ma pratique professionnelle. Ces réflexions ont confirmé mon choix et je n’ai plus modifié la position de mes vœux : c’était la Guyane en premier. Dans les représentations initiales que j’avais de la Guyane et de ce qu’on m’en décrivait, j’avais l’impression de partir à l’aventure au milieu de la forêt équatoriale. Comme j’avais envie de m’enrichir et d’observer d’autres systèmes de sociétés, ça me paraissait être une superbe occasion. Et puis, personnellement, j’avais envie de me recentrer sur l’essentiel et d’apprendre à vivre autrement (faire mieux avec moins, c’était aussi ça le challenge). J’imaginais que la Guyane serait moins industrialisée que ce qu’elle ne l’est en réalité à Cayenne (je pensais que Cayenne serait plus comme les villes que l’on trouve le long du fleuve). Finalement, Cayenne est vraiment très développée (toujours par rapport à mes représentations initiales) en commerces, équipements, nombre d’habitants et même en taille ; et moins dépaysante que ce que j’avais imaginé. Pour avoir voyagé un peu sur le territoire, je trouve que le mode de vie au sein des villages bordant les fleuves (Maroni et Oyapock) reflète davantage la représentation qu’on se fait de la Guyane depuis l’hexagone. Il faut venir le voir…

Concernant les grandes caractéristiques de mon établissement je commencerais par dire que mon collège a un effectif assez important (plus de 830 élèves). Nous avons environ neuf classes par niveaux, sans compter les classes de dispositifs particuliers. L’établissement dans lequel je travaille est classé en REP+, comme de nombreux établissements scolaires en Guyane. Je dirais que sa particularité est vraiment l’hétérogénéité des élèves sur plusieurs aspects : inégalités sociales, diversités culturelles, diversité des langues parlées, conditions familiales… Ces diversités se font ressentir parfois de manières négatives entre pairs mais deviennent rapidement une richesse durant nos cours (diversité des exemples et des modèles de représentation, traductions possibles par d’autres élèves, solidarité…).

Je dirais que la diversité des professeurs est aussi une caractéristique intéressante de notre établissement et enrichissante pour nos élèves. Le turn-over est très important au sein des équipes pédagogiques, ce qui est plutôt pénalisant pour la pérennité des projets à mettre en place. Nous comptons également beaucoup de vacataires. Je note aussi que selon les salles et les matières, nous ne disposons pas tous des mêmes équipements au sein du collège.

De plus, je trouve que la précarité se fait ressentir : certains élèves ne déjeunent pas… et donc le pôle social est très développé au sein du collège. Comme nous n’avons pas de cantine propre à l’établissement, quelques élèves vont manger à la demi-pension d’un établissement voisin ce qui, avec le manque de transport conditionne la pause méridienne à deux heures d’interruption. Les transports en commun ne sont pas très développés en Guyane. La plupart des élèves viennent à pied ou en vélo au collège.

Pour finir, la dernière caractéristique que je note est que, les cours commencent à 7h du matin et finissent souvent plus tôt. L’emploi du temps des professeurs est généralement assez agréable avec des après-midis libérés. D’ailleurs, et je terminerai par ce dernier point, les jeudis après-midi sont banalisés sur le territoire afin de pouvoir faire des « réunions REP+ ». Cela permet également d’avoir des créneaux pour suivre nos formations, donner rendez-vous aux parents ou encore échanger avec nos collègues (au sein de l’établissement mais aussi au sein des établissements voisins).

Tout d’abord, je n’ai jamais vraiment eu l’occasion de voyager très loin, pourtant j’en mûrissais l’envie depuis deux ans. Je pense qu’une partie de ma motivation trouve son origine de là. Je ne me suis jamais fermée la porte à aucune académie car j’aime bien le changement : il est source de remise en question. C’est en regardant les barèmes prévisionnels de mutations en SVT que j’ai mûri mon désir de partir en Guyane. Après deux ou trois recherches sur internet j’étais convaincue : sa biodiversité abondante et la perspective de découvrir un nouvel environnement culturel m’avaient séduite ! Je me suis néanmoins posé des questions et j’ai même vraiment hésité à un moment car le peu de retours que j’en avais étaient négatifs. J’ai mis de côté mes choix de mutation un ou deux jours et j’ai pesé le pour et le contre. J’ai alors mesuré que mon envie de partir était plus grande que mon envie de rester et je me suis dit « C’est maintenant ou jamais : ça te tente, alors teste par toi-même et n’écoute pas les on dit ». C’est alors que j’ai réalisé qu’en tant que professeur de SVT, je pourrai découvrir une biodiversité époustouflante et une diversité culturelle enrichissante qui me demanderait de m’adapter et de remettre en question la manière d’enseigner que j’avais établis durant mon année de stage. Il y avait là un vrai défi et un changement assuré qui me permettrait de m’enrichir personnellement et d’enrichir ma pratique professionnelle. Ces réflexions ont confirmé mon choix et je n’ai plus modifié la position de mes vœux : c’était la Guyane en premier. Dans les représentations initiales que j’avais de la Guyane et de ce qu’on m’en décrivait, j’avais l’impression de partir à l’aventure au milieu de la forêt équatoriale. Comme j’avais envie de m’enrichir et d’observer d’autres systèmes de sociétés, ça me paraissait être une superbe occasion. Et puis, personnellement, j’avais envie de me recentrer sur l’essentiel et d’apprendre à vivre autrement (faire mieux avec moins, c’était aussi ça le challenge). J’imaginais que la Guyane serait moins industrialisée que ce qu’elle n’est en réalité à Cayenne (je pensais que Cayenne serait plus comme les villes que l’on trouve le long du fleuve). Finalement, Cayenne est vraiment très développée (toujours par rapport à mes représentations initiales) en commerces, équipements, nombre d’habitant et même en taille ; et moins dépaysante que ce que j’avais imaginé. Pour avoir voyagé un peu sur le territoire, je trouve que le mode de vie au sein des villages bordant les fleuves (Maroni et Oyapock) reflète davantage la représentation qu’on se fait de la Guyane depuis l’hexagone. Il faut venir le voir…

Concernant les grandes caractéristiques de mon établissement je commencerais par dire que mon collège a un effectif assez important (plus de 830 élèves). Nous avons environ neuf classes par niveaux, sans compter les classes de dispositifs particuliers. L’établissement dans lequel je travaille est classé en REP+, comme de nombreux établissements scolaires en Guyane. Je dirai que sa particularité est vraiment l’hétérogénéité des élèves sur plusieurs aspects : inégalités sociales, diversités culturelles, diversité des langues parlées, conditions familiales… Ces diversités se font ressentir parfois de manières négatives entre pairs mais deviennent rapidement une richesse durant nos cours (diversité des exemples et des modèles de représentation, traductions possibles par d’autres élèves, solidarité…).
Je dirai que la diversité des professeurs est aussi une caractéristique intéressante de notre établissement et enrichissante pour nos élèves. Le turn-over est très important au sein des équipes pédagogiques, ce qui est plutôt pénalisant pour la pérennité des projets à mettre en place. Nous comptons également beaucoup de vacataires. Je note aussi que selon les salles et les matières, nous ne disposons pas tous des mêmes équipements au sein du collège.

De plus, je trouve que la précarité se fait ressentir : certains élèves ne déjeunent pas… et donc le pôle social est très développé au sein du collège. Comme nous n’avons pas de cantine propre à l’établissement, quelques élèves vont manger à la demi-pension d’un établissement voisin ce qui, avec le manque de transport conditionne la pause méridienne à deux heures d’interruption. Les transports en commun ne sont pas très développés en Guyane. La plupart des élèves viennent à pied ou en vélo au collège.

Pour finir, la dernière caractéristique que je note est que, les cours commencent à 7h du matin et finissent souvent plus tôt. L’emploi du temps des professeurs est généralement assez agréable avec des après-midis libérés. D’ailleurs, et je terminerai par ce dernier point, les jeudis après-midi sont banalisés sur le territoire afin de pouvoir faire des « réunions REP+ ». Cela permet également d’avoir des créneaux pour suivre nos formations, donner rendez-vous aux parents ou encore échanger avec nos collègues (au sein de l’établissement mais aussi au sein des établissements voisins).

En quoi diriez-vous que la population scolaire Guyanaise comporte des fragilités et cumule des difficultés de divers ordres ? La collaboration avec les familles est-elle fructueuse ?

Les fragilités de mes élèves reposent surtout sur la barrière de la langue, de la lecture ou encore de l’écriture. Nous avons beaucoup d’élèves qui ne maîtrisent pas ces codes et cela complexifie la communication. Ainsi, d’une part nous comptons des élèves illettrés (ayant suivi une formation sans en acquérir les compétences) et des élèves analphabètes n’ayant jamais été scolarisés dans leur pays d’origine… d’autre part, nous avons de très bons élèves qui maîtrisent ces compétences. Cela renforce l’hétérogénéité dans nos classes et demande un plus grand travail de différenciation.
Cette hétérogénéité se retrouve également sur le plan social (ex. : milieu familial). Certains élèves vivent des situations vraiment compliquées qui impactent fortement leur réussite scolaire : des élèves sont déjà mères en classe de 5°. Bien que ces situations deviennent de plus en plus rares au sein de notre collège, ce phénomène persiste encore dans les villages bordant le Maroni et l’Oyapock. L’éducation à la sexualité et le développement psycho-affectif de l’enfant sont donc encore des axes à développer. La précarité sociale est également importante et impacte les apprentissages (ex. : absence de lunettes, absence de matériel) ou encore, influent sur les relations sociales. Les difficultés d’hygiène accentuent effectivement l’exclusion entre pairs par un rejet plus fréquent se basant sur l’apparence physique (hygiène vestimentaire, hygiène bucco-dentaire). Cependant, l’assistante sociale du collège permet de résoudre pas mal de problème. D’ailleurs en Guyane, l’uniforme scolaire est obligatoire : T-shirt basique de couleur uniforme (jaune chez nous) avec un pantalon bleu. Après observation, je trouve que le port de l’uniforme me paraît pertinent car en Guyane il fait chaud et on a tendance à peu se couvrir. L’uniforme permet ainsi d’éviter de nombreux conflits quant à la décence de la tenue vestimentaire et à ses conséquences éventuelles.

Une autre fragilité du territoire est aussi d’inciter les parents à assurer leur devoir de scolarisation de leurs enfants : beaucoup d’enfants sont absentéistes, partent en vacances sur de longues périodes dans les pays voisins pendant des périodes de cours, ou encore restent à la maison pour s’occuper de leur fratrie lors de l’absence des parents. D’ailleurs, le schéma familial est bien souvent déstructuré : lors d’une demande de rendez-vous je rencontre souvent les grandes sœurs ou les grands frères, les tantes, les grands-mères plutôt que les parents de l’enfant. Cela s’explique en partie par la complexité de la relation des parents avec l’école, l’abondance de familles monoparentales, les préoccupations essentiellement économiques. La relation avec les parents est donc alambiquée puisque peu de parents s’impliquent réellement dans le suivi et la réussite scolaire de leurs enfants (rendez-vous manqués par ex.).

Cependant, dans mon établissement, je dois dire que la collaboration avec les familles tend vraiment à s’améliorer. En Guyane, comme prévu par la circulaire de 2013, le projet « malette des parents » est soutenu par plusieurs établissements. Ainsi, dans mon collège, divers projets ont été mis en place : « ouvrir l’école aux parents » ainsi que l’extension du « projet couture » avec les parents. En fait, en se servant de la culture locale (couture) on essaie de réconcilier les parents avec le milieu scolaire. Les parents sont eux-mêmes souvent dans des situations difficiles et ont conservé une image négative du milieu scolaire. Du coup, lorsque je les reçois dans le laboratoire de SVT (où nous avons la clim) je leur propose un café ou un thé. Cela permet d’établir un contact différent et ainsi, de mieux accompagner l’élève en leur expliquant notre but commun : la réussite de l’enfant.

L’éducation à la sexualité et le développement psycho-affectif semblent être des problématiques d’importance dans ce département. Pourquoi ? Quels ont été les points forts de la formation que vous avez suivie sur ces sujets ?

J’ai suivi une formation sur l’éducation à la sexualité et le développement psycho-affectif de l’enfant afin de mieux appréhender le contexte local concernant cette thématique. En tant qu’enseignante (de SVT particulièrement et bien que ce soit la mission de chaque enseignant), l’éducation à la sexualité me paraît être un des axes prioritaires (et notamment en Guyane qui n’est d’ailleurs pas une île mais un territoire d’Amérique du Sud limitrophe du Brésil et du Surinam). Comprendre le contexte territorial dans lequel je fais mon enseignement est essentiel pour moi afin de bien cerner les enjeux et les problématiques locales et donc d’y répondre au mieux. Cet été par exemple, il y a eu de véritables polémiques en Guyane au sujet de l’éducation à la sexualité (en école primaire notamment). Malheureusement, la neutralité républicaine sur ces questions n’est pas toujours respectée par l’ensemble des enseignants. Culturellement, ces thématiques sont aussi complexes à appréhender par les élèves car ils ont beaucoup d’idées reçues (ex. : moyens de contraceptions de « grand-mère »). Ainsi, une élève de 3° m’a dit que sa grand-mère lui avait dit de boire un grand verre d’eau salée après ses rapports sexuels afin d’éviter une grossesse non désirée…

Cette formation m’a aussi apporté des connaissances par rapport à la législation. J’ai approfondi les enjeux citoyens et le rôle de l’ensemble des enseignants dans la mise en œuvre de cette éducation (car, bien souvent ce sont seulement les SVT qui la prennent en charge…).
Durant cette formation j’ai également rencontré des personnes de différents horizons professionnels qui réalisaient la formation avec moi. Le dernier jour, j’ai pris leurs coordonnées car certains étaient des salariés de la maison de l’adolescent, d’autres des infirmières… J’y ai aussi rencontré la personne chargée de mission Santé sexuelle et reproductive –PMS avec qui nous allons mettre en place des actions d’éducation à la sexualité cette année à travers des interventions dans mes classes (résistance aux influences, notion de consentement, risques des écrans et prostitution juvénile…). Cet aspect de la formation, bien que souvent oublié, est cependant très intéressant car il permet d’enrichir ses contacts et partenariats avec des personnes qui partagent des objectifs communs avec nous vis-à-vis de la thématique abordée.

Un autre point fort que je retiens a été que théorie et pratiques se sont mêlées via divers exercices pédagogiquement stimulant (mise en scène, supports diversifiés : vidéos, jeux de cartes, sites accessibles sur la législation, idée de jeu sur les comportements psycho-sociaux). Cela a été très intéressant pour moi car ça m’a permis d’innover par la suite avec mes élèves en me donnant de nouvelles idées, de trouver de nouveaux supports et de les diversifier ou encore de ré-utiliser certains exercices en les adaptant à la tranche d’âge ciblée (ex. : ouverture d’un débat suite à une prise de position physique en deux colonnes qui se séparent spatialement selon la réponse vrai/faux à des questions portant sur des notions scientifiques).

Cette expérience vous a amenée à vous adapter à vos élèves et à mettre en œuvre des stratégies pédagogiques et relationnelles qui ont porté leurs fruits. Pouvez-vous nous en dire davantage ? Avez-vous le sentiment de vivre un vrai travail d’équipe avec vos collègues et les autres personnels ?

Il est vrai que, dès mon premier cours, j’ai dû adapter mon enseignement aux difficultés de mes élèves (illettrisme par ex.). C’est à ce moment-là que j’ai réellement compris les enjeux du territoire et que j’ai pris conscience de ma mission au sein de l’établissement. Le défi majeur est donc de maintenir l’attention de l’ensemble des élèves constituant une classe parfois très hétérogène en les faisant progresser tous à leur rythme mais en atteignant le plus souvent des objectifs communs. Pour ce faire, j’ai mis en place des petits automatismes qui m’aident à effectuer au mieux cette adaptation. Les principaux consistent en la coopération et la collaboration à différentes échelles.

Tout d’abord, j’essaie de tisser un lien privilégié avec chacun de mes élèves (bien qu’avec de nombreuses classes ça ne soit pas évident). Ils sont mes premiers interlocuteurs dans l’exercice de mon métier et mon meilleur référentiel pour savoir ce qui convient ou ce que je dois améliorer/modifier dans mes cours. J’adopte avec eux une bienveillance naturelle et j’essaie de souligner leur individualité au sein de groupe en accentuant leur particularité à travers l’attention que je leur porte. Ainsi, je n’hésite pas à faire remonter les détails que j’observe d’eux. Par exemple, je suis très sensible et attentive aux états de mes élèves et je les communique aux collègues lorsque cela me semble indiqué. Lorsque je passe dans les rangs pour accompagner leur travail, je regarde leurs avant-bras. Cette petite attention m’a déjà permis de relever quatre cas de mutilations / scarifications rien que cette année ! Pareil pour la qualité de la dentition et les caries non soignées ou encore l’absence de lunettes. Dans ce cas je garde l’élève en fin d’heure avec moi et j’avise sur les suites à donner (direction, parents, infirmière, assistante sociale, psychologue de l’E.N.).

De même, lorsqu’un élève est triste, je lui propose de rester en fin d’heure pour en parler s’il le souhaite. Souvent, il reste et vous donne de réelles informations pour comprendre sa situation personnelle : décès d’un parent, harcèlement scolaire, manque d’estime de soi, violences à la maison… Il y a de nombreux exemples négatifs mais l’inverse existe aussi : élève heureux car ayant eu un bon résultat ou une remarque positive de la part d’un enseignant. Le dernier cas qui selon moi reste la meilleure technique (car peut être la plus naturelle selon ma personnalité) est le suivant: lorsque je fais l’appel en début d’heure, je prends le temps d’observer chaque élève avec attention : changement de coiffure, nouvelle boucles d’oreilles… comme j’ai une bonne mémoire visuelle, les détails ne m’échappent pas! J’utilise donc cet avantage au profit de mes élèves. En leur faisant une petite remarque le plus souvent avec humour. Leur indiquant que j’ai remarqué leur changement, je crée un lien privilégié avec l’élève qui se sent alors plus disposé à apprendre (même si parfois ça n’est que pour me faire plaisir). L’élève se sent exister et prend conscience de sa place unique dans la classe. Par un simple détail, il se sent immédiatement plus en confiance. Il sait qu’il est l’objet de mon attention et ça le motive. J’aime bien user d’humour avec eux et ils me le rendent bien. J’utilise des traits de ma personnalité et les accentue pour les mettre à profit dans mon enseignement (cela revient trouver un équilibre entre faire du théâtre sans être trop théâtrale). Pour illustrer, je dois avouer que, passer par l’affectif, me permet de motiver et d’accrocher un plus grand nombre d’élèves. Les élèves studieux, qui ont des motivations intrinsèques, écoutent de toute manière Cette technique vise donc plutôt à raccrocher les élèves décrocheurs, en difficultés ou encore ceux dans ces deux cas. Avoir une relation privilégiée avec eux favorise leur productivité puisqu’ils travaillent pour me faire plaisir. Je privilégie également la bienveillance car celle-ci permet à l’élève de se faire plaisir à lui-même en développant la confiance en soi. Avec ces derniers j’adopte plus fréquemment une posture d’accompagnement. Pour finir je me préoccupe de leurs souhaits d’orientation, de leurs projets et de leurs centres d’intérêts. Ces derniers constituent un levier de motivation non négligeable. En résumé, je dirai que c’est par l’attention que je donne à mes élèves que j’établis ce lien privilégié qui me permet d’exercer mon métier dans des conditions plus favorables. Les parents sont également un des piliers sur lequel axer ses échanges pour développer sa relation de confiance avec l’enfant et mieux comprendre ses difficultés.

L’échelle de communication suivante s’effectue bien évidemment avec mes collègues. Je pense que le travail collaboratif participe fortement au bon fonctionnement d’un établissement. Ainsi, j’essaie de rester en contact avec les divers personnels de l’établissement. D’ailleurs, en REP+, un minimum de coopération est indispensable. Par ex., je suis souvent en relation avec la psychologue de l’E.N. l’assistante sociale, l’infirmière, la direction, les CPE, les surveillants, les collègues… Le travail d’équipe permet réellement d’atteindre de manière plus efficace notre but commun, à savoir l’épanouissement, la réussite, le choix de l’orientation) et l’éducation de nos élèves.

Je vis un travail d’équipe coopératif dans l’accompagnement de mes élèves et dans le suivi de leur scolarité au sein de l’établissement. J’aimerais cependant viser à ce que ce travail devienne de en plus collaboratif. J’échange souvent avec mes différents collègues via les plates-formes numériques ou encore par des échanges directs… Cela me permet d’obtenir et de transmettre des informations essentielles à la compréhension de l’élève ou de la classe en question mais également de prendre du recul sur certaines situations, de faire des signalements (ex. : plusieurs mutilations des avant-bras cette année et l’an passé) ou même d’avoir des conseils. Au sein de l’équipe de SVT, nous sommes très soudés et nous échangeons sur nos pratiques pédagogiques et didactiques. Cette communication permet de mettre en place des actions spécifiques. Par exemple, pour répondre aux besoins de l’éducation à la sexualité, nous avons un projet de prévention monté en partenariat avec l’infirmière du collège, un référent du rectorat sur l’éducation à la vie affective et relationnelle et des membres de la croix rouge sur les IST.

Pour finir, notre établissement étant l’établissement réseau de référence, nous avons également eu des temps d’insertion en école maternelle et primaire. Je trouve que cela permet d’avoir une continuité entre le premier et le second degré et d’observer différentes approches pédagogiques à des âges différents et des populations plus variées. C’était très intéressant et j’ai été surprise moi-même car c’est lors de mon immersion en maternelle que j’ai le plus appris en termes d’innovations pédagogiques et de différenciation. Je trouve cette expérience vraiment enrichissante et je me suis inscrite pour reconduire l’expérience cette année. Le travail collaboratif doit donc, selon moi, être développé à la fois à l’intérieur de l’établissement mais également avec des intervenants extérieurs.

Envisagez-vous de rester en Guyane pendant encore quelques années ? Quelles sont les autres académies qui vous tentent à courts ou moyens termes ? Pour quelles raisons ?

Alors rester en Guyane, pour la Guyane, mes élèves et mes collègues, oui ! Cependant, ma vie personnelle ne me permettra pas d’y rester pour une très longue durée dans la mesure où mon conjoint est fréquemment muté pour des raisons professionnelles. J’aimerais donc le suivre, quitte à revenir en Guyane avec lui dès que les conditions le permettront. Nous en avons déjà brièvement parlé d’ailleurs. Ainsi, la mobilité s’imposant, j’envisage deux options entre lesquelles je n’ai pas encore tranché. Les seuls critères qui resteront inchangés je pense, seront : pas le sud car je veux retrouver la sensation de froid et une mutation où je peux retrouver une biodiversité satisfaisante et faire des SVT en allant me promener (le massif central avec ses volcans, les Alpes et le Jura avec ses chaînes de montagnes…).

Donc, dans un sens, je souhaite me rapprocher de ma famille puisque l’outre-mer nous sépare aussi un peu de nos proches (au moins géographiquement). Ainsi, toute la région Grand-Est et les académies qu’elle comporte (Strasbourg, Nancy-Metz notamment) m’intéressent particulièrement.
Dans un autre sens, j’aimerai suivre mon ressenti et mes envies aux moments des mutations. Pour le moment je pense me rapprocher de la côte nord-ouest pour diverses raisons parmi lesquelles le fait que j’y apprécie la culture et la biodiversité du milieu marin (visiter et faire visiter le site de Roscoff que je n’ai pas eu l’occasion de faire en master). La Corse me tenterait également à plus long terme.

Je pense que l’important pour moi dans mes choix de mutation à venir, sera que l’académie soit bien desservie au niveau des transports afin que je puisse circuler rapidement et librement sans trop de contraintes. L’autre critère indispensable, mentionné plus tôt, est qu’il fasse froid. Une académie près des régions montagneuses me plairait pour diverses raisons : d’abord je verrai à nouveau de la neige, des saisons, des particularités géologiques et biologiques… Je pourrai ensuite faire de longues randonnées en cueillant des champignons ! Je suis un peu nostalgique de la diversité des paysages de la France hexagonale, bien que, j’apprécie sans conteste la beauté de la biodiversité guyanaise. L’académie de Lyon, celle Dijon ou encore de Besançon pourraient donc me plaire (tout comme celle de Nancy-Metz ou encore de Strasbourg). Le massif central est très beau aussi et me tenterait beaucoup… honnêtement c’est une question difficile. En fait les saisons me manquent quand même et j’aimerais revoir de la neige en hiver. L’exotisme que je suis allée chercher en Outre-Mer me permet d’apprécier d’autant plus la beauté et la diversité des paysages de France hexagonale que l’on oublie par habitude. Sortir de ce cocon m’a aussi rendue nostalgique de mes académies d’origine (Nancy-Metz, Strasbourg, Besançon). Finalement je pense que je serai heureuse n’importe où tant que l’essentiel est là. Tout ce que je sais c’est que j’aurai besoin de rentrer quelques temps pour mieux repartir par la suite. J’ai pour projet à plus long terme de repartir en outre-mer ou d’enseigner à l’étranger.

Dans mes grandes idées à plus long terme, j’aimerai aller enseigner en Afrique ou aux Philippines. Je n’exclus pas les autres Outre-Mer car l’expérience de la Guyane me plaît vraiment. Je crois que vous avez pu voir que je ne me ferme à aucune opportunité à venir pour l’instant.

À quelles perspectives de carrière avez-vous réfléchi ? Quels sont les domaines ou les champs de compétence qui vous tiennent le plus à cœur ?

Formatrice à l’ÉSPÉ (école supérieure du professorat et de l’éducation) me tenterait beaucoup ! D’abord parce que j’aimerais re-transmettre à mon tour toutes les richesses que j’ai reçues. Ensuite parce que je sais que cela permet de rester « pédagogiquement » et « didactiquement » connectée, de garder un esprit critique plus grand sur ses propres pratiques professionnelles. J’aimerais parler de mon expérience, tester de nouvelles approches, donner des conseils, former, accompagner et échanger avec les étudiants, m’enrichir d’eux aussi (car je trouve que souvent les jeunes professeurs osent tenter de nouvelles approches). Ils sont souvent plus flexibles et aptes à se remettre en question. Accompagner de jeunes professeurs ou des étudiants en fin d’études, les préparer aux épreuves du CAPES me plairait vraiment ! Cette expérience irait de pair avec le fait de m’engager dans les jurys de concours et prendrait tout son sens dans la mesure où elle me permettrait d’être en première ligne pour garantir l’intégrité de mon métier et de ses valeurs. J’aime profondément mon métier et j’aimerais qu’il soit exercé par des passionnés ! J’idéalise l’enseignant mais pour moi il a un rôle extrêmement important à jouer dans le développement de l’enfant et de la société à venir. Après tout, nous avons entre nos mains la société de demain !

En parallèle, j’envisage de passer l’agrégation interne une fois que je pourrai le faire car je sais que cette expérience sera stimulante et me permettra de voir mon enseignement sous un angle différent. J’avoue que dans cette entreprise, il y a aussi une part de défi personnel et ce serait un réel accomplissement en soi que d’aller au bout des choses en termes d’examens professionnels. Dans un certains sens, l’agrégation serait une forme d’aboutissement, une reconnaissance professionnelle de la part de mes pairs (bien que celle des élèves soit gratifiante au quotidien). Je songe à l’agrégation interne car une des choses que j’aime le plus dans mon métier c’est la pédagogie. Je m’étais par exemple renseignée sur la pédagogie de Maria Montessori. Sa manière d’appréhender l’apprenant et de respecter son temps d’apprentissage par une succession d’essais/erreurs en donnant un sens pratique à ses apprentissages est vraiment intéressante. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de mettre cette pédagogie en pratique dans un cadre associatif avec des enfants de maternelles. C’était intéressant mais complexe. C’est effectivement une méthode qui s’acquiert et se travaille avec l’enfant sur la durée. Il faut que l’enfant s’habitue à cette nouvelle approche. C’est exactement comme le temps d’adaptation dont ont besoin nos élèves lorsqu’ils changent d’enseignants. Parfois nous avons des automatismes qui nous semblent logiques. Par exemple, lorsque je demande à un collègue de faire l’évaluation que je propose à mes élèves, je découvre que tout n’est pas uniquement lié à leur absence d’apprentissage mais aussi, à mes propres pratiques qui peuvent inconsciemment complexifier le devoir. Le but est donc d’avoir du recul sur notre manière d’enseigner et de garder la distance réflexive nécessaire pour se rendre compte de ce que nous faisons par automatisme afin de pouvoir remettre en question son enseignement. En résumé, développer mes connaissances sur les élèves, leur psychologie et les processus d’apprentissages me permettrait d’exercer encore mieux mon métier et d’avoir toutes les clés en main pour échanger avec mes pairs sur les diverses stratégies à mettre en place ou encore, de mieux accompagner les jeunes enseignants dans leurs premières prise de fonction (lors de formations par ex.).

Pour finir, un des domaines qui me tient le plus à cœur est l’éducation à la sexualité car je pense qu’il y a vraiment besoin de mettre en œuvre des projets éducatifs concernant cette thématique, particulièrement en Guyane. Cela rejoint un autre domaine pour lequel j’ai un intérêt spécifique et qui concerne l’éveil à l’esprit critique et qui vise à développer de futurs citoyens éthiquement responsables (questions de bio-éthique par exemple). La bienveillance et la psychologie de l’enfant/de l’adolescent m’intéressent également énormément avec tout ce qui est en rapport à l’estime de soi (il y a malheureusement trop d’élèves qui se mutilent). Les formations sur le renforcement des compétences psycho-sociales (CPS) permettent de répondre à toutes ces thématiques en transversalité. J’aimerais donc bien compléter ma propre formation. La maîtrise de la psychologie de l’enfant et de l’adolescent me paraît essentielle pour répondre aux besoins de l’individu, le comprendre et l’accompagner vers plus d’autonomie et vers une vie d’adulte épanouissante.

Amandine KUHN, enseignante de SVT en poste en Guyane

La Réunion : témoignage

Une expérience hors du commun : enseigner à Mafate

« Pour enseigner à Mafate, il faut être capable de supporter la solitude toute la semaine et ne pas être exigeant quant aux conditions de logement (on a le strict minimum dans le logement mis à disposition par la mairie et il n’y a pas de loisirs ici). Mafate étant enclavé, il faut faire au minimum 4 kilomètres pour rejoindre son poste. Je travaille à l’îlet à Bourse, îlet situé au cœur du cirque et je dois emprunter la Rivière des Galets. Quand la piste des 4×4 de la rivière est praticable, je marche 9 kilomètres. Sinon, comme en ce moment, je dois parcourir 22 kilomètres. Cela ne me gêne pas quand je rentre chez moi, c’est pour rejoindre mon poste que ça me pose problème: c’est trop long et j’arrive à l’école très fatiguée. Alors, je fais un demi tour de l’île en voiture et je ne marche que 3 heures.

J’ai en charge une classe unique de 11 élèves âgés de 3 à 12 ans (de la TPS au CM2).

Dans le Cirque de Mafate, il y a 8 écoles et une dizaine d’élèves dans 6 écoles.

À l’îlet de la Nouvelle et celle de Roche – Plate, l’école comprend 2 classes.

On y travaille du lundi 13 h au vendredi 11 h 30 et le mercredi toute la journée ; cela a toujours été ainsi car les enseignants viennent de la côte. Ils rejoignent leur poste le lundi matin et regagnent leur domicile le vendredi après-midi. Une fois par mois, tous les enseignants de Mafate se retrouvent à l’Inspection pour les concertations avec la coordinatrice des écoles de Mafate et certaines fois pour les animations pédagogiques. L’IEN nous rend visite une fois dans l’année et  vient à pied. En septembre dernier, monsieur le Recteur est venu se rendre compte de l’équipement de nos écoles accompagné de monsieur l’Inspecteur et de l’équipe de la mairie.

La mairie prend en compte nos doléances en ce qui concerne l’école et les élèves. Nous voyons aussi le médecin scolaire, le dentiste, l’assistance sociale et les gendarmes quelquefois nous rendent visite.

À l’îlet à Bourse, les parents sont formidables et toujours partants pour ce que nous proposons aux élèves. Il existe une solidarité qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Cet îlet est peu habité : moins de 50 habitants. Lorsque l’école fait une manifestation, tous les habitants répondent présent et chacun apporte son aide.

L’école est bien équipée : tableau mobile, tableau numérique, 6 ordinateurs portables, 2 photocopieurs. On a Internet avec un routeur de SFR.

J’ai 2 élèves en CM2 qui vont aller en 6ème sur la côte : l’une à la Possession,l’autre à St Paul. Elles seront dans des familles d’accueil et ne monteront dans le cirque que pendant les vacances. Le départ de ces élèves est une déchirure pour les familles qui se font du souci et se posent beaucoup de questions.

Parfois, les enfants changent de famille quand ça ne fonctionne pas.

J’ai voulu retourner à Mafate par amour de Mafate : il y a ses paysages grandioses, ses habitants réservés, accueillants et attachants si on les respecte, ses élèves qui ne sont pas blasés, qui ne demandent qu’à apprendre et qui ont de grandes possibilités. Ici, on pratique la pédagogie différenciée. Les grands s’occupent des petits, les consolent. Ici, l’enseignant apprend aussi des élèves (en ce qui concerne la faune et la flore). Ils ne sont pas timides engagent des discussions, posent des questions et font des propositions.

Les difficultés que je rencontre à Mafate : ma radio ne capte pas ; je n’ai pas de télé donc je ne suis pas au courant des actualités ; la rivière en crue m’oblige à faire un demi-tour de l’île. Parfois on n’a pas Internet.

Il y a aussi des avantages : la sérénité, le calme, la beauté du site, la gentillesse des habitants. En termes pécuniers, je dispose de 150 € pour gérer les affaires de l’école. On a l’eau chaude et l’électricité par énergie solaire.

Je ne pouvais pas retourner à Mafate tant que mes enfants étaient en bas âge. Bientôt la boucle sera bouclée pour moi : il y a trente ans, je commençais ma carrière à Mafate la Nouvelle et je vais la terminer à l’îlet à Bourse. Au début de ma carrière dans le cirque, l’école n’était pas dotée. Il n’y avait que des meubles (vieilles tables d’écoliers avec bancs incorporés, tableau noir et armoire). Il fallait mendier auprès des écoles de la côte pour avoir des manuels, des jeux . . . il n’y avait pas de coopérative scolaire. Aujourd’hui, toutes les écoles du cirque sont équipées de la même manière et la coopérative existe. Pour approvisionner le compte, nous faisons des actions : kermesse, vente de tee-shirts de l’école, de confiture maison fournie par les parents, bijoux . . . »

Témoignage de Solange

Crédit photo : Rivière des galets, cirque de Mafate par Laurent Echiniscus

 

 

Le bilinguisme : un cheval de bataille du SE-Unsa

Le SE-Unsa a toujours pensé que la langue et la culture réunionnaises devaient avoir leur place dans l’enseignement à la Réunion.

Si les débats polémiques ont laissé la place à des considérations plus pédagogiques, il n’en demeure pas moins que le combat est loin d’être terminé.

En 2001, est créé le Conseil académique pour les langues et la culture réunionnaises chargé de promouvoir les langues et les cultures régionales et leur enseignement. Ce conseil, qui devrait affirmer une volonté académique, se réunit trop rarement et selon la volonté des différents Recteurs.

En 2012, il y avait 210 enseignants habilités pour seulement 20 classes bilingues… Les choses avancent mais trop lentement par rapport à l’urgence de la situation.

Le SE-Unsa se bat pour un véritable développement de l’enseignement bilingue, pour que les petits réunionnais, grâce à une meilleure maîtrise des deux langues, puissent améliorer l’apprentissage du français mais aussi d’autres langues.

Crédit photo : Jean-Pierre Dalbéra

Focus sur les DOM : Enseigner dans nos départements d’Outre-mer

Nombreux sont ceux qui pensent que DOM rime avec décors de rêve, soleil et cocotiers…

Mais cette image de carte postale cache une toute autre réalité. Loin des clichés, il s’agit de donner la parole à ceux qui vivent et travaillent dans ces départements et qui attendent des réponses concrètes correspondant aux situations spécifiques auxquelles ils sont confrontés. Syndicat utile, le SE-Unsa souhaite également sensibiliser l’ensemble des collègues qui envisagent d’aller y exercer.

Les départements d’Outre-mer sont des collectivités territoriales françaises au même titre que les départements ou régions métropolitaines. Chacun de ces départements constitue une région mono-départementale, dite « région d’outre-mer » depuis la révision constitutionnelle de 2003. Les cinq Dom sont la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, La Réunion et Mayotte (depuis mars 2011). Éloignés les uns des autres et de la métropole, soumis à des climats et à des conditions matérielles souvent difficiles, héritiers d’une culture forte et d’une histoire qu’il faut assumer, les Dom font partie intégrante de l’École de la République. Leur éloignement géographique ne doit être synonyme ni d’oubli ni de désintérêt.

Les fonctionnaires des DOM : des privilégiés ?
Le statut particulier des fonctionnaires qui travaillent dans les DOM a été établi à une époque où il était plus difficile d’attirer des fonctionnaires dans ces départements. Enseigner dans les DOM signifie aussi travailler en Amazonie guyanaise, entre autres, un lieu qui n’est pas spécialement paradisiaque. Ainsi, des rémunérations plus importantes, des congés majorés, une retraite majorée, la « sur-pension » dont la disparition est programmée pour janvier 2028… tous ces « avantages » sont censés attirer les vocations.

On mute en claquant des doigts ?
C’est loin d’être aussi simple ! Il faut s’inscrire en tout état de cause, dans le dispositif national de permutation (dans le 1er degré) et de mutation. Comme les autres départements français, il faut remplir un certain nombre de conditions et passer à travers le tamis du « barème » mais aussi du calibrage des emplois. Plus la demande est forte, plus les chances d’obtenir un poste sont faibles. Cependant, la Guyane ou encore Mayotte étant moins demandées que la Guadeloupe, il sera plus facile d’y trouver un poste. Si les rémunérations des fonctionnaires qui partent enseigner danslesDOM sont plus élevées qu’en métropole, il ne faut pas oublier que le coût de la vie est aussi très élevé. L’avantage est donc relatif.

Les candidats au départ peuvent obtenir des renseignements plus précis auprès des rectorats de chacun des départements qui les intéressent. Se renseigner sur www.outre-mer.gouv.fr et sur le site des académies de chaque DOM.

Vous êtes enseignant en Guadeloupe ou vous vous préparez à partir enseigner dans ce DOM, renseignez vous sur www.ac-guadeloupe.fr et n’hésitez pas à contacter les représentants du SE-Unsa par mail et à vous rendre sur ce site.

Crédit photo : Vincent H

L’École pour tous : un défi à la Réunion

Ce n’est qu’en 1946 et avec la départementalisation que l’École a commencé à se développer.

Jusqu’en 1997, l’académie était la plus mal dotée de France, mais après de longues luttes syndicales, nous avons obtenu un plan de rattrapage de 1 900 postes sur quatre ans.

Si, de facto, cela a entraîné une amélioration du taux d’encadrement, il nous faut maintenant passer à une phase plus qualitative prenant en compte nos spécificités. La Réunion reste confrontée à un taux d’illettrisme élevé : en 2011, l’Insee dénombre 116 000 illettrés dont un jeune sur sept (sur environ 850 000 habitants) et démontre que les jeunes les plus touchés sont ceux dont la seule langue parlée dans leur famille est le créole.

Pour mieux lutter contre le décrochage de nombreux jeunes, nous avons besoin de moyens supplémentaires notamment en ASH.

Le SE-Unsa et l’Unsa-Éducation militent depuis toujours pour une reconnaissance de la langue et de la culture réunionnaise afin que soient prises en compte les réalités de l’apprenant pour un meilleur apprentissage du français : des classes bilingues doivent être développées dès l’école maternelle.

Sacrifiée ces dernières années, la scolarisation des enfants de 2 ans est une priorité, il faut renverser la tendance.

 

 Jean-François RIALHE, Secrétaire départemental du SE-Unsa

 Crédit photo : DrWNaucala

 

Mayotte : témoignage d’une enseignante de Rased

« Je m’appelle F. et je suis enseignante spécialisée au sein d’un Rased à Mayotte. Il est 6h et je suis déjà en route pour me rendre dans une école à 7 km de chez moi, car à Mayotte, la circulation est très problématique le matin et le trajet ne me prendra pas moins de 50 minutes, s’il n’y a pas de travaux !

L’école commence à 7h et finit à 12H15. À Mayotte, 24% des salles de classe fonctionnent par rotations. Quand il n’y a pas assez de salles de classes pour le nombre de divisions dans une école, l’école fonctionne alors en rotation: 7h-12h15, 12h30-17h45. Selon les écoles, certaines classes ne « rotent pas », ce sont souvent les CP. Les rotations peuvent s’effectuer toutes les semaines, tous les 15 jours ou par période, il faut donc partager sa salle de classe avec un autre enseignant.

6h55, je traverse lentement le village pour éviter les gouffres qui jalonnent la route, salue les familles qui emmènent les enfants à l’école. La pluie ne va pas tarder et la chaleur est déjà étouffante.
Bonjour à toute l’équipe : 11 enseignants travaillent ce matin et autant travailleront cet après-midi. À Mayotte, plus de 50% des écoles ont huit classes voire davantage (20% en métropole). 17 écoles ont plus de 500 élèves et 3 plus de 700. Et dire qu’il manque plus de 500 salles de classe !

Je vais chercher S. dans sa classe, je travaille avec elle chaque semaine. Elle m’accueille avec le sourire : les enfants sont contents de travailler en petit groupe, ils appartiennent souvent à de grandes fratries et les mamans ont peu de temps à leur consacrer. Aujourd’hui, elle a pu se rendre à l’école ce qui n’est pas toujours possible par temps de pluie : les bangas sont construits dans les pentes qui deviennent si boueuses qu’ils ne peuvent alors plus se déplacer. Parfois, les pluies ont inondé l’habitation et les vêtements sont trempés.
Je travaille toute la matinée dans cette école. Une petite salle a été aménagée pour accueillir le personnel itinérant : maîtres de Clin (il y a un nombre important d’élèves allophones nouvellement arrivés), maîtres + (ils travaillent essentiellement sur la langue française)*, enseignants spécialisés du Rased. Il nous a fallu organiser notre emploi du temps les uns en fonction des autres, puisqu’une seule salle est disponible et ici, il y en a une ce qui n’est pas toujours le cas.
La chaleur est étouffante: pas de ventilateurs dans les salles, ni de clim bien évidemment. Cet après-midi, il deviendra insupportable d’enseigner par cette chaleur, sous les tôles, et certains élèves s’endormiront.

9h : c’est l’heure de la collation. À Mayotte, les apprentissages sont d’autant plus difficiles que nombre d’enfants arrivent le ventre vide à l’école. Certes, une collation payante est proposée aux élèves et d’autres achètent des friandises aux « mamas » qui en vendent devant les grilles des écoles mais ces encas sont souvent gras et sucrés. Le personnel de santé redoute une augmentation très significative des cas de diabète dans l’avenir. Les enfants de familles pauvres ne mangent pas et restent 5h30 le ventre vide ce qui n’aide ni à la concentration ni à l’investissement scolaire.

Pendant la récréation, un maître contractuel parle de ses difficultés à enseigner et de son manque de formation. Un autre est à la recherche de paires de ciseaux : le matériel manque cruellement dans les classes. Parfois, les écoles sont cambriolées et se retrouvent démunies. La conversation s’oriente vers les rythmes scolaires qui ne concerneront pas cette école puisqu’elle est en rotation. Mais les questionnements sont là ; se pose le souci du repas de midi car il n’y a pas de cantine à Mayotte. Se pose aussi la question de l’école coranique, quand aura-t-elle lieu et l’enfant ne risque-t-il pas de vivre alors une journée très fatigante, loin des objectifs recherchés par cette organisation scolaire ?
Les enfants livrés à eux-mêmes pendant la journée reviendront-ils à l’école l’après-midi ?

Le directeur, lui, est en discussion téléphonique avec la mairie car une fois de plus, la fosse septique déborde. Les écoles sont souvent très délabrées : il n’est pas rare de voir les fosses septiques déborder, ou de ne plus avoir d’eau dans les toilettes. Les locaux peuvent être sales, peu entretenus. Peu d’écoles respectent les normes de sécurité. Les cours d’école ne sont pas équipées.
La matinée s’achève par une rencontre avec une maman. Les familles rencontrent des difficultés dans la compréhension des parcours scolaires, et manquent de repères dans le système scolaire. Très souvent, les mères s’occupent seules de l’éducation de leurs enfants. Les fratries sont nombreuses, les mères sont dépassées, démunies et ne sont pas en mesure d’aider leurs enfants scolairement. La maman me remercie de m’occuper de son enfant, c’est touchant.

La matinée s’achève. Demain, je travaillerai le matin et l’après midi. Ainsi se succèdent les journées du lundi au vendredi, mercredi compris. »

*Beaucoup d’enfants ne parlent pas le français, ils ne fréquentent d’ailleurs cette langue qu’à l’école. Aucun enseignement de leur langue ne les aide à en comprendre la structure ce qui ne les aide pas non plus à comprendre celle du français. Le niveau scolaire est très faible, les effectifs des classes sont chargés.

Crédit photo : mwanasimba

Mayotte : des conditions d’enseignement précaires

La forte démographie est accompagnée d’une augmentation forte des effectifs scolaires, + 68 % en maternelle (64% des enfants seraient scolarisés à 3 ans) et + 8,3% en élémentaire, qui n’est pas sans poser des difficultés au niveau des infrastructures scolaires.
Certaines écoles fonctionnent par rotation en raison d’un manque de salles de classes (des élèves ont cours le matin et d’autres l’après-midi). Ce fonctionnement retarde la préscolarisation et nuit grandement aux apprentissages des élèves, donc à leur réussite scolaire, d’autant plus que pour la très grande majorité d’entre eux, le français n’est pas la langue maternelle et peut être partiellement (ou non) maîtrisée par les parents.
Les infrastructures souffrent également d’un manque criant d’équipement en matériel pédagogique et environ ¾ des écoles ne satisfont pas aux exigences des commissions d’hygiène et de sécurité.

Un département largement déficitaire en moyens humains
18% des enseignants exerçant dans le 1er degré sont des contractuels.
Mayotte souffre d’un déficit de maîtres formateurs (2.4%) qui jouent un rôle important dans la formation des collègues en formation initiale et continue des enseignants.

L’ASH en construction
Depuis quelques années, les structures, dispositifs et procédures propres à l’ASH tendent à se rapprocher des « standards » nationaux. Des structures propres à Mayotte disparaissent tandis que se développent les structures « classiques » :

o 44 Clis (+60% sur 5 ans)
o 12 Ulis (x3 en 5 ans)
o 71 ETP AVS (x5 en 5 ans)
o 50 ETP Rased
o 52 divisions de Segpa

Beaucoup de dispositifs sont récents (la Maison des Personnes Handicapées n’est créée que depuis 2010, alors qu’en métropole elles le sont depuis 2005), ce qui explique de nombreuses difficultés.
Beaucoup d’élèves sont scolarisés en Clis par défaut de places en IME, les plateaux techniques des ateliers de Segpa ne sont pas encore livrés alors que les élèves sont là, au regard des difficultés rencontrées par certains élèves, les Rased rencontrent des difficultés pour travailler dans de bonnes conditions.
Cette culture de l’aide spécialisée auprès des élèves en difficulté est également à construire au sein de certaines écoles.

Éric Hourcade, Secrétaire départemental du SE-Unsa 

Crédit photo : mariesophie Bock Digne

Martinique : témoignages

«Ce n’est pas facile tous les jours… mais je reconnais tous les efforts fournis par le syndicat pour nous aider, notamment concernant la procédure d’indemnisation. »

Sabine LOUIS-CORALIE, enseignante non titulaire 2nd degré

  «Nous avons pu conserver des postes cette année dans notre établissement grâce à l’action syndicale. C’est une chance que je mettrai à profit pour valoriser la filière bois autour de projets innovants sur la construction parasismique. »

Jérémie BOISSON, PLP génie-industriel Bois

  «J’ai enseigné la LVR pendant 3 ans. Ce fut pour moi très enrichissant et j’ai pu constater que l’enseignement du créole avait tout autant sa place que celui du français dans nos programmes du primaire. Mais, il reste encore beaucoup à faire ! »

Nathalie SAINT-LOUIS-AUGUSTIN, co-enseignante du programme « PARLER »

Crédit photo : Salim Shadid

 

Guyane : témoignages

«Je garde un excellent souvenir du fleuve à Maripasoula, les élèves sont agréables et la vie est très calme.»

Smith NOZAR, PE

 

«Le métissage culturel de mes élèves m’a permis de réajuster mes pratiques professionnelles et de les enrichir.»

Jocelyne DEFORT-VALERE, enseignante en Segpa

 

«La majorité de mes élèves sont allophones. J’ai donc suivi une formation en FLE pour être plus efficace.»

Ingrid MENCE, PLC stagiaire

 

«J’ai été affecté sur le fleuve à Grand-Santi et ne voulais pas aller aussi loin. Souvent confronté à des coupures d’eau, d’électricité et de télécommunications, je retiens le bon côté des choses, mon travail contribue au succès des élèves du fleuve.»

Ludovic MONCY, contractuel  2nd degré

Crédit photo : Jo Be

 

 

Un combat de tous les instants, combler le déficit d’enseignants

Nous luttons pour une université de qualité en Guyane qui permettra, avec l’Espé, de former sur place nos futurs enseignants.

Nous militons auprès des collectivités locales et des responsables politiques pour un accompagnement de ces étudiants dès le Bac afin d’augmenter le taux de réussite en master et ainsi avoir plus de candidats potentiels aux concours (CRPE, CAPES).

Nous avons refusé la délocalisation du CRPE proposée par le Recteur car elle n’aurait pas réglé la question du turn-over des enseignants.

Nous continuons à  réclamer l’amélioration du taux de satisfaction des permutations informatisées afin de garantir une compensation des départs. L’attractivité de notre académie est en question, l’un des leviers en est l’IGS (prime).

En attendant, nous incitons nos contractuels (20% des enseignants) à accéder à la titularisation.

 Didier Dorlipo, Secrétaire départemental du SE-Unsa

Crédit photo : Yannick TURBE

Comprendre Mayotte en quelques chiffres

  • 31 mars 2011 : accession au statut de DOM
  • Population multipliée par 3 entre 1985 et 2012
  • Natalité élevée (près de 7000 naissances en 2012) qui se traduit par une augmentation des effectifs chaque année de 2000 à 4000 élèves
  • Mayotte est le département français où la part d’étrangers est la plus importante (avant le département de la Guyane). Entre 40% et 50% de la population n’est pas de nationalité française, beaucoup d’entre eux sont en situation irrégulière.
  • 2 résidences principales sur 3 sont encore dépourvues du  confort de base(1).

Les habitats en tôle restent très présents, seul 1 sur 3 bénéficie d’un point d’eau à l’intérieur du logement, et la quasi- totalité ne dispose d’aucune installation sanitaire.

  • Parmi les 15 ans ou plus, un habitant de Mayotte sur trois n’a jamais été scolarisé (contre moins de 2 % en France métropolitaine).
  • 56 % des jeunes de 15 à 29 ans qui ont achevé leur scolarité n’ont obtenu aucun diplôme qualifiant (19 % en France métropolitaine).

 

Résultats de l’année 2013 CM2
Math Fran
Evaluations « nationales »Acquis insuffisants 58% 64%
Evaluations « nationales »Acquis fragiles 17% 16%
75% 80%
Taux de réussite (%)
DNB BAC Général BAC Techno. BAC Pro.
65.7 67.2 54.7 68.2

(1)Pour l’INSEE, un logement est considéré sans confort de base s’il ne dispose pas à l’intérieur d’au moins un équipement suivant : eau courante, électricité, WC, douche ou bain.

Crédit photo : mariesophie Bock Digne

 

Guyane : terre d’accueil et d’innovation !

Le public scolaire en Guyane est essentiellement regroupé dans les communes du littoral (Cayenne, Kourou, Matoury) et au bord des grands fleuves, le Maroni à l’ouest (Saint-Laurent, Maripasoula, Grand-Santi) et l’Oyapock à l’est. Ces communes sont très éloignées les unes des autres. Ainsi, certains élèves sont  transportés vers leurs écoles en pirogue, ce qui n’est pas sans originalité !

 

Autre particularité, le français, le créole, le brésilien, l’espagnol, le bushinenge (langue du fleuve), le chinois, et le surinamais se pratiquent dans les cours de récréation. Notre population scolaire est multi-ethnique, multi-culturelle et multi-langues.

 

Notre démographie galopante (taux de natalité élevé, immigration), entraîne des besoins en construction scolaire et en personnels toujours croissants.

 

La maîtrise de la langue est la « priorité des priorités ». Des réponses innovantes ont été apportées et complètent les dispositifs nationaux (maîtres surnuméraires) :

–        intervenants en langue maternelle (ILM) dans les classes primaires ;

–        classes bilingues (français/créole) du primaire au collège ;

–        classes de proximité dans les sites isolés ou difficile d’accès ;

–        maîtres itinérants ;

–        multiplication des formations FLE  et FLS au PAF académique.

 

Pour tous renseignements complémentaires se rendre sur www.ac-guyane.fr ou contactez votre section locale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Martinique : du dynamisme dans un contexte morose

La Martinique est une académie de 74 877 élèves, 1er et 2nd degré confondus.

Plus de 8 680 adultes (dont 7 643 enseignants) se répartissent dans les 237 écoles et 66 EPLE publics.

La population scolaire représente ainsi 20% de la population totale de l’île.

Derrière ces chiffres, qui mettent en exergue le dynamisme de notre académie, se cache une toute autre réalité ; celle d’une Martinique qui vieillit ! Selon l’Insee, les personnes âgées de 60 ans et plus, estimées à 20% de la population en 2009, représenteront près de 40% en 2040. En outre, notre académie se singularise par l’ampleur du décrochage scolaire. Ainsi, on estime à 22% les jeunes de 20 à 24 ans non scolarisés qui n’ont pas obtenu de diplôme du second cycle de l’enseignement secondaire. Enfin, nous sommes confrontés à un taux de chômage très élevé, soit 21% de la population active, qui touche fortement les femmes et les jeunes de moins de 30 ans sans diplôme.

Ce contexte démographique et social assez morose devrait bien évidemment avoir un impact direct quant à la mise en œuvre, par les autorités rectorales, d’une politique éducative adaptée et de qualité. Or, depuis 10 ans, leur réponse implacable, unilatérale et indifférenciée à une problématique qui réclame pourtant une approche innovante, ambitieuse et spécifique, consiste à supprimer des postes, soit près de 800, pour répondre à des injonctions budgétaires ministérielles !

Le SE-Unsa sur le terrain

Notre combat consiste à trouver des solutions adaptées afin de pallier les effets négatifs de ces phénomènes.

C’est ainsi que nous avons réussi, après 3 ans d’efforts et de rapport de forceavec le rectorat et le ministère, à affecter sur les postes vacants les stagiaires et les néo-titulaires du 2nd degré qui le souhaitent, et freiner ainsi le départ de nos forces vives.

De même, nous avons lutté pour obtenir le maintien des petites écoles de quartier, pour agir lutter contre la désertification des services publics dans les campagnes et ses conséquences tant démographiques qu’économiques.

Nous plaidons également en faveur d’un « label qualité » de notre enseignement en promouvant une formation générale, et post-bac en particulier, assez diversifiée pour permettre à nos jeunes de poursuivre leurs études dans l’île.

Nous réfléchissons en ce moment avec les enseignants et directeurs de Segpa, (en y associant les PLC et PLP) à des propositions concrètes de mise en œuvre d’une politique spécifique de l’enseignement spécialisé adaptée et dénuée de toute connotation péjorative.

Notre syndicalisme est un syndicalisme de terrain, très actif et très au fait des réalités locales : une réelle force de propositions et d’actions.

Marlène LECEFEL, Secrétaire départementale du SE-Unsa

Crédit photo : Tach_RedGold&Green