Interview de François Muller

Vous dites que «Des élèves qui réussissent, ce sont des enseignants qui apprennent».  La formation continue existe, mais elle ne satisfait pas. On voit depuis peu émerger un nouveau concept, celui de développement professionnel continu. De quoi s’agit-il ?

François Muller : Le développement professionnel de l’enseignant rend compte de la manière dont il améliore son professionnalisme au travers d’expériences l’amenant à étudier systématiquement son enseignement : ateliers, rencontres professionnelles, activités de mentorat mais aussi lecture de travaux de recherche ou d’informations sur les évolutions de sa discipline.

Pendant longtemps, les enseignants recevaient une formation dans le cadre de conférences suivies d’ateliers souvent peu liées aux activités d’enseignement et d’apprentissage dans l’établissement scolaire ou dans la classe.

Ce n’est que depuis quelques années que le développement professionnel des enseignants est considéré par les experts et les décideurs politiques comme un processus de long terme offrant des occasions régulières de contacts et d’apprentissage avec les collègues mais s’inscrivant également dans une programmation systématique des activités de formation, articulées à des expériences concrètes, partant davantage des besoins et des problèmes rencontrés par les enseignants dans leur quotidien.

Pourquoi on parle à présent de développement professionnel ?

FM : L’étude TALIS de l’OCDE en 2013 s’est attachée à préciser les conditions de l’enseignement et les nécessaires liaisons entre exercice professionnel, modalités de formation et évaluation.  A partir de ces données documentées depuis plusieurs années, on en tire le concept et les pratiques d’un bon développement professionnel.

– Si 90 % des enseignants s’estiment bien ou très bien préparés quant au contenu de la matière qu’ils enseignent, près de 40% des enseignants se sentent insuffisamment préparés pour le volet pédagogique du métier, soit la proportion la plus élevée des 34 pays participant à l’enquête TALIS.

– En France, un système de tutorat –presque exclusivement réservé aux enseignants en début de carrière. Pourtant, le fait d’assumer un rôle de tuteur est généralement associé à un sentiment plus important d’efficacité professionnelle.

–  Les enseignants sont bien moins nombreux que leurs collègues des autres pays de l’enquête TALIS à déclarer utiliser des pédagogies différenciées pour les élèves qui ont des difficultés

d’apprentissage et/ou qui apprennent plus vite (22 % en France, contre 44 % en moyenne TALIS et 63 % en Angleterre, par exemple). Ils sont également moins nombreux à utiliser le numérique dans le cadre de leur cours (24 % en France, contre 37 % en moyenne TALIS et 74 % au Danemark et en Norvège, par exemple).

–  La formation continue des enseignants n’est pas suffisamment centrée sur leurs besoins. En moyenne, environ 88 % des enseignants déclarent avoir suivi une activité de formation continue au cours des 12 derniers mois et en France, 76 %.  Les formations proposées aux enseignants sont moins intensives en France. (4 jours par an, contre 8 jours par an en moyenne TALIS). Sont invoquées le manque d’incitations, l’incompatibilité de l’emploi du temps professionnel (ou familial), ou l’inadéquation, aux yeux des enseignants, de l’offre de formation avec leurs besoins..

– Les enseignants perçoivent l’évaluation de leur travail comme un exercice purement administratif : 50 % des enseignants, Plus de 70 % des enseignants déclarent que les évaluations et commentaires reçus de sources externes (inspecteurs) constitue un frein indéniable pour rendre l’exercice performant. Et 8 enseignants sur 10 en France n’observent jamais les cours d’autres enseignants (contre 5 enseignants sur 10 en moyenne TALIS).

Quelles sont les caractéristiques du développement professionnel ?

F.M. : Le développement professionnel considère l’enseignant comme un praticien réflexif à même d’acquérir de nouvelles connaissances et compétences puis de les traduire en nouvelles théories et pratiques pédagogiques.

• Il est situé en contexte, celui de l’établissement scolaire et des activités quotidiennes des enseignants et des élèves. Les établissements scolaires deviennent ainsi des communautés d’apprentissage professionnel centrées sur des enquêtes sur leurs pratiques sous la forme de groupes d’études, de constructions de portfolios, et de dispositifs de recherche action.

• Le développement professionnel repose sur un processus collaboratif au travers d’interactions entre enseignants mais aussi avec d’autres professionnels et d’autres membres de la communauté éducative, dans l’établissement comme à l’extérieur.

• Il est en rupture avec un modèle traditionnel de la transmission parce qu’il engage les enseignants dans un apprentissage professionnel au travers de tâches concrètes de réflexion et d’analyse, d’évaluation des pratiques, d’observations des situations de classe.

• Il se déroule sur le long terme en considérant que les enseignants comme les élèves ont besoin de temps pour apprendre et réinvestir leurs nouvelles connaissances et compétences dans leurs pratiques. L’accompagnement et le suivi constituent des ressources essentielles pour conduire à des changements réels à l’échelle de l’établissement scolaire.

• Il participe à la construction d’une culture professionnelle nouvelle au sein de l’établissement, à la définition du projet collectif, à la mise en œuvre efficace de l’obligation de rendre compte, dans une institution en forte évolution, aux cadres changeants.

Qu’est-ce qui marche dans un bon développement professionnel ? [1]

FM : La mise en œuvre du développement professionnel permet de revisiter les formes certes classiques pour permettre de véritables apprentissages ; c’est une manière de faire et une attente explicite de résultats sur les élèves ; on peut le voir dans plusieurs modalités :

– Les ateliers : une majeure partie de ces ateliers, faute de suivi ou de soutien dans la durée, sont inutiles. Les ateliers peuvent être efficaces s’ils fondent la réflexion des pratiques d’enseignement sur les résultats de recherche, s’ils génèrent des expériences d’apprentissage actives parmi les participants, et s’ils fournissent aux enseignants des occasions d’adapter leurs pratiques pédagogiques aux situations de classe.

– Les activités : le plus efficace n’est pas déterminé par la mise en œuvre d’une série de « bonnes pratiques » mais par une adaptation prudente d’une variété de pratiques à un contenu ou une approche spécifique en fonction du contexte.

– Le recours à des experts extérieurs doit s’effectuer prioritairement à l’échelle de l’établissement et s’appuyer sur l’expertise externe mais aussi interne des membres de la communauté éducative.  Cela peut être des rencontres régulières dans chaque établissement afin d’explorer des problèmes communs et de chercher des solutions fondées sur une expérience partagée et une vision collective.

– Le temps : les enseignants ont besoin de temps pour approfondir leur compréhension et leurs connaissances, analyser le travail des élèves, et développer de nouvelles approches pédagogiques. Les programmes de développement professionnel supérieures à 30 heures sont plus efficaces que les autres à condition qu’ils soient bien structurés, clairs dans leurs objectifs, et centrés sur les contenus et la pédagogie.

– L’accompagnement et le suivi  des enseignants en temps réel et sur le lieu de travail conduit à une amélioration significative des résultats des élèves.

Quelles sont les conditions institutionnelles d’un développement professionnel ?

FM : D’une certaine manière, la « transformation silencieuse » de la formation est déjà là et les équipes, enseignantes et de direction, sont en train de faire des choix intelligents et pragmatiques pour mettre à profit, en recombinant moyens et capital intellectuel ou organisationnel (du temps, de la compétence et des ressources) au profit de leurs élèves ; sur le terrain, nous observons nombre de dispositifs de co-animation (Maringues), de co-observation, en école (Montbéliard, Martinique), ou à l’occasion du réseau école-collège (Toulon, Mulhouse) ; des reconfigurations de l’organisation des « animations pédagogiques » en circonscription (Loire), des expérimentations à l’occasion des REP+ (Colmar), d’appui par des « amis critiques » (CARDIE, recherche). Ces aménagements du quotidien pour un développement durable des compétences collectives seront d’autant plus facilités si à un niveau médian ou supérieur certains points peuvent être travaillés :

– Le développement professionnel des enseignants doit être pensé comme un processus de long terme qui commence avec la préparation initiale et se termine en fin de vie active. Cette nouvelle approche exige la transformation des processus, des organisations et des politiques qui accompagnent et soutiennent les enseignants, leur formation, leur travail et leur développement dans la profession ; le développement professionnel des enseignants doit être planifié de manière systématique, soutenu et financé, maintenir un lien avec la recherche, pour garantir une certaine efficacité ; les établissements deviennent formateurs et apprenants en même temps ; par eux et avec eux, les institutions de formation, et d’autres institutions doivent collaborer activement pour assurer un développement professionnel dès le début de carrière ; des agences ou des institutions externes peuvent et doivent soutenir les programmes de développement professionnel sur un plan logistique comme sur un plan financier ;

– Plus les enseignants ont de possibilités d’être à la fois des agents de la réforme, plus elle sera efficace dans le travail au quotidien ; pour cela, les enseignants doivent être encouragés à participer aux programmes conçus pour leur développement professionnel. De plus, ils doivent bénéficier de temps et d’un soutien financier comme concepteurs et développeurs actifs de leurs propres expériences ;

– Les types de programmes et d’activités de développement professionnel doivent être adaptés aux besoins des enseignants et à leurs intérêts, tout en correspondant à leur situation professionnelle en termes de travail et d’évolution de carrière ; les contenus doivent permettre des discussions sur les situations de classe, favoriser les groupes d’échanges de pratiques, et participer à l’élaboration d’un répertoire valide de pratiques pédagogiques ;

– Une variété de modèles et des techniques de développement professionnel doit être mise à disposition des enseignants, notamment sur le lieu de travail ; le numérique comme l’enseignement à distance, peuvent être utilisées en tenant compte du fait que tous les enseignants n’y ont pas forcément accès ;

Dans la plupart des pays, la mise en œuvre d’une stratégie de développement professionnel va de pair avec une reconfiguration du système d’évaluation ; l’établissement perfectionne son auto-évaluation et entraîne une solidarité collégiale des personnels vis-à-vis de la reddition des comptes ;  on ne change pas le système de formation sans changer aussi le mode de répartition des rôles et des responsabilités au sein de l’établissement ; l’évaluation individuelle relève d’une autre nature, plus teintée de RH, et donc d’une autre organisation. C’est une autre « histoire ».

Et concrètement, ça prend quelle forme ?

F. M. : La mise en œuvre du développement professionnel permet de revisiter les formes certes classiques pour permettre de véritables apprentissages ; c’est une manière de faire et une attente explicite de résultats sur les élèves. On peut le voir dans plusieurs modalités :

• Les ateliers : une majeure partie de ces ateliers, faute de suivi ou de soutien dans la durée, sont inutiles. Les ateliers peuvent être efficaces s’ils fon-dent la réflexion des pratiques d’enseignement sur les résultats de recherche, s’ils génèrent des expériences d’apprentissage actives parmi les participants, et s’ils fournissent aux enseignants des occasions d’adapter leurs pratiques pédagogiques aux situations de classe.

• Les activités : le plus efficace n’est pas déterminé par la mise en œuvre d’une série de « bonnes pratiques » mais par une adaptation prudente d’une variété de pratiques à un contenu ou une approche spécifique en fonction du contexte.

• Le recours à des experts extérieurs doit s’effectuer prioritairement à l’échelle de l’établissement et s’appuyer sur l’expertise externe mais aussi interne des membres de la communauté éducative. Cela peut être des rencontres régulières dans chaque établissement afin d’explorer des problèmes communs et de chercher des solutions fondées sur une expérience partagée et une vision collective.

• Le temps : les enseignants ont besoin de temps pour approfondir leur compréhension et leurs connaissances, analyser le travail des élèves, et développer de nouvelles approches pédagogiques. Les programmes de développement professionnel supérieures à 30 heures sont plus efficaces que les autres à condition qu’ils soient bien structurés, clairs dans leurs objectifs, et centrés sur les contenus et la pédagogie.

• L’accompagnement et le suivi des enseignants en temps réel et sur le lieu de travail conduisent à une amélioration significative des résultats des élèves.

Cette nouvelle approche de la formation continue redéfinit les rôles et les compétences de tous les acteurs.

Elle doit donc être accompagnée et soutenue par l’institution elle-même qui doit être capable de remettre en cause ses fonctionnements  traditionnels. C’est à ce prix que l’École avancera.

[1] Des chercheurs de l’American Institute for Research ont analysé les résultats de 1300 études s’intéressant aux effets du développement professionnel sur les résultats des élèves dans les apprentissages fondamentaux. Le projet a été sponsorisé par le Regional Education Laboratory-Southwest et financé par l’Institut des Sciences de l’Education du département fédéral américain de l’éducation. Les résultats repris dans un rapport intitulé Reviewing the Evidence on How Teacher Professional Development Affects Student Achievement (Yoon et al., 2007) propose un nouvel éclairage de la relation complexe entre développement professionnel et l’amélioration des résultats des élèves.

Formation
François Muller travaille au sein du département recherche-développement en innovation et en expérimentation au ministère de l’Éducation nationale. Son activité est centrée sur l’accompagnement du changement et le développement professionnel.

Concepteur de «Respire», réseau social de l’éducation, il est également l’auteur de plusieurs sites en ligne qui font référence («Diversifier») et de plusieurs ouvrages dont :

• Manuel de survie à l’usage de l’enseignant même débutant», 4ème éd., Éditions L’Étudiant, Prix de l’académie française

• L’innovation, histoire contemporaine du changement en éducation, Éditions Scéren, 2012.

• École : la grande transformation ? Les clés de la réussite, avec Romuald Normand, Éditions Esf, 2013.

Retrouvez les contributions de François Muller sur son site et abonnez-vous à son compte twitter @diversifier pour ne rien manquer de l’actualité pédagogique.

 

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